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Lucie Regnault

« Les États-Unis et la convention de Montego Bay : des liens ambigus »



Signée le 10 décembre 1982, la Convention de Montego Bay, aussi appelée Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (ci-après CNUDM), a permis une importante évolution du droit de la mer. Jusque là, la régulation des espaces maritimes s’effectuait au travers de quatre conventions différentes, les Conventions de Genève (ci-après CG), et d’un protocole facultatif du 29 avril 1958. Le droit de la mer était parcellisé, la convention de Genève la plus ratifiée ne regroupait que 63 États, ce qui ne permettait pas d’avoir un droit international de la mer véritablement efficace. En ce sens, la CNUDM constitue un accord majeur pour le droit de la mer. Elle lie 168 États et les quelques États non signataires n’ont généralement pas de façade maritime. Avoir un droit de la mer consensuel est crucial car le droit de la mer permet aux États, qu’ils soient côtiers ou non, de réguler les accès aux mers et océans et de définir les conditions de leur exploitation.


Avec plus de 19 900 kilomètres de côtes, les États-Unis sont parmi les premiers concernés par ce droit de la mer, qui se veut protecteur des intérêts de chaque pays ainsi que ceux de l’humanité. Bien qu’étant la première flotte mondiale, ils ne sont pas signataires de la CNUDM. Les États-Unis sont néanmoins partie aux CG de 1958. Ils sont liés par leurs contenus et répondent donc à un certain droit de la mer, qui n’est pas identique à celui de la CNUDM mais dont certaines dispositions ont été reprises des CG de 1958. Nonobstant, le Sénat américain refuse toujours de ratifier la CNUDM, alors même que les États-Unis ont pris une part active dans sa négociation.


Qu’est-ce que la Convention de Montego Bay ?


Rédigée en 1982 lors de la Conférence des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) à Montego Bay, cette convention codifie le droit de la mer, régule et définit les droits et devoirs de chaque pays sur l’espace maritime. Elle est entrée en vigueur le 16 novembre 1994, et compte aujourd’hui 168 États parties. Le but de cette Convention, comme stipulé dans son préambule, est :


« de régler, dans un esprit de compréhension et de coopération mutuelles, tous les problèmes concernant le droit de la mer. »


Cette Convention a donc un champ d’application très vaste. Elle s’attache notamment à définir les droits et devoir relatifs à la Mer territoriale et la Zone contigüe (Partie II), aux détroits (Partie III), à la Zone Economique Exclusive (ZEE, Partie V), au Plateau continental (Partie VI), à la Haute Mer (Partie VII), ou encore sur la Zone (Partie XI). Elle octroie notamment des droits souverains sur les ressources naturelles et certaines activités économiques aux États côtiers dans leur ZEE et leur donne également la souveraineté sur une Mer territoriale qui s’étend jusque 12 milles marins, depuis la côte.


La Convention de Montego Bay est l’un des instruments juridiques les plus importants en matière de droit international car elle envisage les problèmes des espaces maritimes dans leur ensemble.


Causes et conséquences de la non ratification par les États-Unis


Bien que la CNUDM soit un outil majeur du droit international, les États-Unis ne l’ont pas ratifiée du fait de désaccords, notamment sur la Partie XI du traité relatif à la Zone.


Cette Zone correspond aux fonds marins de la Haute mer, plus communément appelée « eaux internationales » du fait de leur appartenance au patrimoine commun de l’humanité. Dans la Partie XI, l’article 137 en son paragraphe 2 attribue les droits d’exploitation de cette zone à l’Autorité internationale des fonds marins qui agit au nom de l’humanité. Le partage des bénéfices liés à cette exploitation est précisé dans l’article 140 qui stipule que les ressources sous-marines ne peuvent être exploitées au seul bénéfice d’un État ou d’un groupe d’États mais doivent être partagées équitablement à travers l’Autorité. Cette exploitation commune suppose aussi un transfert des techniques, au bénéfice notamment des États en développement (article 144 de la CNUDM).


Cette mise en commun de connaissances et techniques pour le bénéfice de l’humanité a pu déplaire aux États-Unis qui ont conditionné leur signature à la modification de ces dispositions.


Le rôle de cette Autorité est réaffirmé et clarifié dans l’Accord relatif à l'application de la partie XI de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 adopté le 16 juillet 1994 et entré (provisoirement) en vigueur en même temps que la Convention. Cette annexe à la CNUDM clarifie et remanie la Partie XI. Elle a rapidement été signée par les États-Unis car elle remédia aux problèmes que leur posait la Partie XI en octroyant plus de pouvoir aux pays industrialisés (voir Section 3, article 15).


Néanmoins, ce nouvel accord n’entraîna pas la ratification de la Convention par le Congrès américain. Cela a pour conséquence que l’on ne peut s’appuyer sur la CNUDM pour attraire les États-Unis en justice, notamment devant le Tribunal international de la mer créé par la Convention et dont ils ne reconnaissent pas l’autorité. Cet accord n’est pas contraignant pour eux. On ne peut donc pas leur reprocher de ne pas en appliquer les dispositions puisqu’ils ne sont pas liés par les obligations contenues dans la CNUDM : ils ne sont pas tenus de les respecter.


Quelles sont donc les règles qui s’imposent aux États-Unis en matière de droit de la mer ?


Bien que les États-Unis ne soient pas parties d’un des accords majeurs relatifs au droit de la mer, cela ne signifie pas qu’aucun droit international maritime ne leur est applicable.


En effet, il existe d’autres conventions et accords internationaux codifiant le droit de la mer auxquels les États-Unis sont parties et qu’ils doivent par conséquent respecter. On peut notamment se référer aux différentes Conventions de Genève de 1958 ainsi qu’à des institutions telles que MARPOL (1973) sur la prévention de la pollution par les navires, SOLAS (1974) pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et d’autres conventions (voir OMI, Organisation Maritime Internationale). Les Conventions de Genève de 1958 dont les États-Unis sont parties sont relatives à la mer territoriale, la zone contigüe, le plateau continental, la pêche et la haute mer. Les États-Unis doivent donc respecter la souveraineté et les droits des autres pays sur ces différentes zones selon les dispositions des différents traités. Mais les États-Unis ne sont pas parties au protocole facultatif de 1958 sur le règlement des différends, ils ne reconnaissent donc pas la compétence de la Cour internationale de justice pour statuer sur les différends dont l’argumentation serait fondée sur les conventions sur le droit de la mer du 29 avril 1958.


Il ne faut également pas oublier que le droit international et notamment le droit de la mer est majoritairement coutumier. Ainsi, même si les États-Unis n’ont pas ratifié la Convention de Montego Bay, ils respectent et se doivent de respecter certaines de ses dispositions en raison de leur caractère coutumier. Cela est notamment le cas pour les ZEE : lors d’une déclaration du Président Ronald Reagan en 1983, les États-Unis annoncent la création d’une ZEE pour leur territoire et reconnaissent les droits des autres pays côtiers sur une zone de 200 milles marins au large de leurs côtes respectives :


« (…) proclamons par les présentes les droits souverains et la juridiction des États-Unis d’Amérique et confirmons également les droits et libertés des autres États dans une zone économique exclusive. »


Le principe de la ZEE de 200 milles marins est ainsi coutumier et reconnu comme de droit international par les États-Unis. Ces derniers doivent donc respecter cette disposition présente dans la Convention de Montego Bay, non pas du fait de la Convention elle-même mais du fait de leur déclaration unilatérale susmentionnée. Le principe de pleine souveraineté des États côtiers sur une mer territoriale, rappelé dans la déclaration précédemment citée, est également coutumier au vu de son application générale. La taille de cette mer territoriale était auparavant de 3 milles marins et est désormais de 12 milles marins. Dans ces deux zones, l’État côtier, comme défini dans la CNUDM, doit autoriser un droit de passage inoffensif, c’est-à-dire un passage qui ne porte pas « atteinte à la paix, au bon ordre et à la sécurité de l’État côtier ». Ce principe est inscrit dans la CNUDM, et est depuis longtemps revendiqué par les États-Unis. En effet, dans son discours exposant son programme de paix pour le monde, le Président Woodrow Wilson souhaite :


« Une absolue liberté de navigation sur les mers, en dehors des eaux territoriales, en temps de paix, aussi bien qu'en temps de guerre, sauf si les mers doivent être en partie ou totalement fermées afin de permettre l'application d'alliances internationales. »


Les États-Unis demandent donc clairement la libre circulation maritime dès les premières réflexions sur la rédaction d’un droit international sur les mers. Cette volonté de liberté est notamment réactivée par la mise un place d’un « programme de liberté de navigation » en 1979 afin de faire respecter la liberté de navigation par tous, notamment par les États qui, aux yeux des États-Unis, ne la respectent pas dans leur pratique. Ils ont donc à cœur de faire respecter un tel principe de libre navigation et n’ont eu de cesse de l’exercer. On peut se référer pour cela à différentes affaires, notamment celles des USS Yorktown et USS Caron en 1986 et 1988 lorsque les navires américains pénètrent dans les eaux territoriales soviétiques et y revendiquent un droit de passage inoffensif. La CIJ, dans l’Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Islande c/ Royaume-Uni) datant de 1974, consacre un droit coutumier de pêche et la souveraineté de l’État côtier sur la zone allant de 0 à 12 milles marins, déjà inscrit dans la CG de 1958 relative à la mer territoriale et que les États-Unis respectent. Ces derniers ont instauré une mer territoriale de 12 milles marins par déclaration le 27 décembre 1988.


Dans cette même proclamation, Ronald Reagan reconnaît le principe de droit de passage inoffensif contenu dans la CNUDM :


« In accordance with international law, as reflected in the applicable provisions of the 1982 Convention on the Law of the Sea, within the territorial sea of the United States, the ships of all countries enjoy the right of innocent passage and the ships and aircraft of all countries enjoy the right of transit passage through international straits. »


D’autres déclarations ont été faites, reconnaissant ou instaurant les principes de zone contigüe en 1999, de plateau continental en 1953 ou encore des notes relatives à d’autres principes de droit international, renforçant les déclarations Truman de 1945 sur l’instauration d’un plateau continental et la souveraineté de l’État américain sur certaines zones de pêche en « haute mer ». On note donc que les États-Unis œuvrent à l’extérieur de la CNUDM, dont ils appliquent tout de même certaines clauses et qu’ils ont été vecteurs de l’émergence du droit coutumier en matière maritime, la déclaration Truman faisant par exemple émerger une coutume sauvage s’apparentant aujourd’hui à la notion de ZEE.


Non signataires de la CNUDM, les États-Unis respectent néanmoins certaines catégories de la Convention en tant que droit coutumier ainsi qu’en tant qu’État partie aux Conventions de Genève de 1958 et à d’autres traités relatifs au droit maritime. Il est donc important d’étudier le caractère coutumier ou non d’une disposition de la CNUDM et de noter si une disposition similaire existe ou non dans l’un des traités tels que les CG de 1958 afin de savoir si elle peut être opposée aux États-Unis.

Lucie Regnault


Bibliographie :


Articles :

Fillon, Jean-Louis, « ‘Le fiasco de Montego Bay', uchronie juridico-maritime », IFMER, 2012.


Marghélis, Aris-Georges, « La liberté de navigation : quels défis à ce principe fondamental du droit de la mer ? », Human Sea.


Modica, Bruno. « Les États-Unis et la mer, vers un changement de paradigme. », Clionautes, Mars 2018.


Sébastien, Colin, « La Chine, les États-Unis et le droit de la mer », Perspectives chinoises [En ligne], 2016/2 | 2016, mis en ligne le 15 juin 2016.


Quéneudec, Jean-Pierre, « La proclamation Reagan sur la zone économique exclusive des États-Unis. » , in Annuaire français de droit international, volume 29, 1983. pp. 710-714.


Textes législatifs :


Accord relatif à l'application de la Partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, 28 juillet 1994.


Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982.


Conventions de Genève sur le droit de la mer, 29 avril 1958.


Déclaration Truman sur le plateau continental, 28 septembre 1945.


Déclaration Truman sur la pêche en haute mer, 28 septembre 1945.


Déclaration du Président américain sur la mer territoriale, 27 décembre 1988.


Déclaration du Président américain sur la zone contigüe, 2 septembre 1999.


OMI, Liste des conventions


Loi étasunienne sur les terres du plateau continental extérieur du 7 août 1953.


Protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends, 29 avril 1958.


Sources autres :


CIA, The World Factbook, United States, Geography.


« Convention de Montego Bay et droit de la mer »


Discours de l’État de l’Union dits des quatorze points pour la paix, Woodrow Wilson, 8 janvier 1918.


Nations Unies, état des traités, CNUDM, liste des États parties.

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