Assurant la circulation de plus de 80 % du volume du commerce mondial (1), le transport par voie maritime constitue un maillon essentiel de l’organisation économique mondiale (2). Ce trafic international, qui ne cesse d’augmenter, est responsable de 3 % des émissions mondiales de CO2 et est à l’origine de 16 % des émissions d’oxyde de soufre (SOx) et 22 % de celles d’oxyde d’azote (NOx) issues l’activité humaine (3). Ce chiffre peut être relativisé au regard du volume de marchandises transporté, mais le transport maritime commercial reste une source d’émissions de gaz à effet de serre qui contribue aux changements climatiques. La lutte contre le changement climatique étant devenue une urgence, le secteur maritime ne doit pas être négligé, d’autant plus que les scénarios futurs prévoient une multiplication de ces émissions par deux en raison de l’augmentation constante des volumes de fret.
Si l'attention portée aux impacts du transport maritime sur l'environnement est apparue relativement tard par rapport à d'autres secteurs, aujourd’hui la réglementation relative aux émissions des navires devient de plus en plus contraignante.
Référence : Neoliner 136m with Solidsail (©NEOLINE/MAURIC)
I) LE CADRE JURIDIQUE DE LA DÉCARBONATION DU TRANSPORT MARITIME
En effet, à l’échelle internationale, l’OMI adopte sa Stratégie initiale dont l’objectif est la réduction du volume total des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50% d’ici 2050 par rapport à 2008. Cette stratégie s’appuie notamment sur la mise en œuvre des mesures de l’Annexe VI de la convention MARPOL qui impose un indice d’efficacité énergétique (Energy Efficiency Design Index - EEDI) à tous les navires d’une jauge brute supérieure ou égale à 400, construits après 2013. Cette mesure prévoit un niveau minimal d’efficacité énergétique exprimé en émissions de CO2 par unité de travail de transport que ces navires devront respecter. Le 1er janvier 2023, cette même Annexe VI a mis en place un indice de rendement énergétique des navires existants (EEXI), qui s'étend donc à l’ensemble de la flotte. Plusieurs autres instruments pour améliorer le rendement des navires sont établis par l’OMI comme le plan de gestion du rendement énergétique du navire et le système de collecte des données relatives à la consommation des carburants des navires. L’OMI a également établi des exigences plus restrictives dans certaines zones (zones ECA) concernant les autres émissions atmosphériques rejetées par les navires comme les SOx et les NOx. Tous les navires qui circulent dans ces zones doivent respecter le seuil d'émission autorisé sous peine de sanctions pénales.
À côté de ça, l’Union Européenne a intégré progressivement les émissions du transport maritime dans la politique de l’Union relative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans un premier temps, l’Union a mis en place un système de surveillance, de déclaration et de vérification des émissions du transport maritime dans le cadre du règlement (UE) 2015/757. Dans un second temps, ce règlement a récemment inclus le secteur du transport maritime dans son système d’échange de quotas et d'émissions (Système SEQE) qui vient plafonner et tarifer les émissions de GES afin d’inciter les compagnies maritimes à éliminer progressivement leurs émissions de gaz à effet de serre.
Cette dynamique de contrôle et d'élimination des émissions de GES du secteur maritime conjuguée à la pression économique liée à l'augmentation du prix des carburants pousse les compagnies maritimes à se tourner vers des solutions alternatives plus propres.
II) LA RÉSURGENCE DES NAVIRES À PROPULSION VÉLIQUE
Parmi les diverses solutions envisagées par le secteur, la propulsion vélique apparaît comme l’une des plus adaptée pour répondre aux exigences des enjeux de la décarbonation du transport maritime.
Les navires à voiles ont été un mode de transport longtemps utilisé pour le commerce maritime, avant d'être progressivement abandonnés au XIXe siècle au profit de la propulsion mécanique. Toujours utilisés en matière de plaisance, on assiste aujourd'hui à la résurgence des navires à voiles dans le commerce maritime.
L'intérêt d’utiliser le vent comme mode de propulsion réside principalement dans le fait qu'il s’agit d’une énergie à la fois gratuite et inépuisable contrairement aux carburants utilisés habituellement par les navires. En outre, le système vélique permet une utilisation directe du vent sans qu’il y ait besoin de le produire, le transformer ou le stocker. Le seul inconvénient tenant à la nature du vent est que sa disponibilité peut être variable, cependant, aujourd'hui, des procédures de routage permettent de trouver la route optimale pour un voyage déterminé en tenant compte des prévisions météorologiques.
Dès lors, l’utilisation du vent comme mode de propulsion n’a aucun impact environnemental en elle-même. De surcroît, cela va permettre de réduire l’utilisation de la propulsion mécanique du navire et donc de diminuer ses émissions de GES, diminution qui pourrait supprimer jusqu’à 90 % des émissions de GES pour certains futurs navires (4). La part de réduction des émissions va dépendre de la technologie choisie par les armateurs. Certaines techniques permettent de recourir à la propulsion vélique en tant que propulsion principale du navire et d’autres en tant que propulsion auxiliaire.
En ce sens, il existe aujourd’hui une multitude de technologies offrant une performance supérieure aux voiles traditionnelles :
- Les rotors : il s’agit de cylindres verticaux en rotation placés sur le pont du navire qui génèrent une poussée.
- Les voiles : placées sur le pont, elles peuvent être souples ou rigides, leur aérodynamisme dépend principalement de leur épaisseur et de leur symétrie.
- Les kites : une aile est placée à l’avant du navire pour capturer le vent et générer une poussée.
À l’heure actuelle, il y a seulement une vingtaine de navires marchands équipés pour la propulsion vélique (5). Néanmoins, la filière vélique a vocation à se développer au cours des années à venir au regard des enjeux environnementaux et économiques. Si les navires peuvent directement être conçus pour être propulsés par le vent, les équipements véliques peuvent également être installés en rétrofit. En ce sens, il n’est pas nécessaire d’attendre un renouvellement de la flotte pour passer au vélique.
De nombreuses entreprises ont déjà développé ces technologies qui seront prochainement exploitées. Tel est le cas de Neoline, TOWT, Zephyr et Borée, Wallenius Marine, Airseas, etc.
III) LA PROPULSION VÉLIQUE AU REGARD DU CADRE JURIDIQUE EN VIGUEUR
La conception et l’exploitation d’un navire sont soumises aux réglementations internationales auxquelles les navires à propulsion vélique devront également répondre, notamment concernant la sécurité. La réglementation en la matière étant relativement ancienne, elle ne prend pas en compte les spécificités de ces navires.
La convention SOLAS (Safety Of Life At Sea) inclut les navires à propulsion vélique dans son champ d’application dès lors qu’ils sont assistés d’un moyen de propulsion mécanique (6). Par conséquent, ces navires devront être conçus et construits en prenant en compte les exigences générales prévues par la convention. Du fait de leur spécificité, les navires à propulsion vélique pourraient rencontrer des difficultés pour être en conformité avec certaines normes tenant à la stabilité du navire ou à la visibilité, et pourraient être amenée à faire des compromis concernant la structure.
En ce sens, ces navires devront être conformes aux normes de sécurité qui ne sont pas toujours adaptées aux équipements véliques. Les sociétés de classification qui vont certifier la bonne navigabilité du navire conformément à leurs exigences et celles de la réglementation internationale, auront leur rôle à jouer (7). En effet, certaines sociétés de classification comme DNV (8) ou American Bureau of Shipping (9), ont déjà élaboré des guides fournissant leurs exigences de classification spécifiques pour les navires à propulsion vélique.
Enfin, s’agissant du personnel navigant, seules les certifications prévues par la convention STCW de 1978 sont nécessaires. Il n’y a pas à ce jour d'obligation quant à une formation spécifique pour la navigation de navires à propulsion vélique. En effet, les systèmes véliques développés sont automatisés, par conséquent le risque d’erreur humaine est partiellement écarté10. Cependant, les armateurs pourront prendre l’initiative de former leur personnel navigant sur les questions de sécurité relatives aux équipements véliques.
Notes de bas de page :
(1) United Nations Conference on Trade and Development. (2022). Review of Maritime Transport.
(2) Wind ship. (2022). La propulsion des navires par le vent. (3) European Maritime Transport Environmental Report 2021. (s. d.). European Environment Agency.
(4) Le cargo à voiles roulier “Neoliner” de la société Néoline.
(5) Wind ship. (2022). La propulsion des navires par le vent.
(6) Règle 2, Convention SOLAS, OMI, 1974.
(7) Charline Bourgeois, La propulsion vélique et le commerce maritime, Aix Marseille Université, 2020.
(8) DNV « Standards on wind assisted propulsion systems », Novembre 2019.
(9) ABS « Guide for Wind Assisted Propulsion System Installation », Juin 2020.
(10) Charline Bourgeois, La propulsion vélique et le commerce maritime, Aix Marseille Université, 2020.
SOURCES :
American Bureau of Shipping « Guide for Wind Assisted Propulsion System Installation », Juin 2020.
BOURGEOISCharline,Lapropulsionvéliqueetlecommercemaritime,mémoire,AixMarseille Université, 2020, 100p.
Caroline Devaux, cour de Droit maritime privé, 2022.
Convention MARPOL 73/78
Convention SOLAS, 1974
DNV, « Standards on wind assisted propulsion systems », Novembre 2019
European Environment Agency. (2021). European Maritime Transport Environmental Report.
Néoline, https://www.neoline.eu/
United Nations Conference on Trade and Development. (2022). Review of Maritime Transport. https://doi.org/10.18356/9789210021470
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