Par Camille Fernagut.
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Le démantèlement est un processus de décomposition des matériaux d’un navire qui n’est plus en état de naviguer. Le but de ce processus est de récupérer autant de matériaux composant le navire que possible et de recycler les composants.
Depuis toujours, les navires en fin de vie sont démantelés et leurs matériaux réutilisés. D’abord construits en bois, il était facile de récupérer les pièces recyclables. Avec les innovations et les différentes révolutions industrielles, les navires sont devenus plus performants, plus solides. Ce sont maintenant de véritables objets technologiques dotés d’une multitude de matériaux.
Le démantèlement moderne des navires semble avoir commencé vers 1815, après les guerres napoléoniennes. En effet, beaucoup de navires avaient été construits pour la guerre et devaient être vendus ensuite à des compagnies privées afin d’être démantelés. Ces compagnies se spécialisent dans la démolition navale. Une des plus connues s’appelant Henry Castle & Son, s’est établie sur la Tamise en 1838. De plus, avec l’introduction de l'utilisation de l’acier dans les bateaux, leur recyclage est devenu infini.
Au début du XXème siècle on passe d’initiatives isolées à un démantèlement de masse. En 1904 notamment, la Royal Navy afin de rester compétitive avec la marine allemande, décide de se débarrasser de tous ces anciens navires encombrant ses bases navales. Une forte demande de navires se fait ressentir lors des deux guerres mondiales pour engendrer, après ces guerres, une hausse du démantèlement.
Après les années 1960, de nouveaux matériaux de construction pour les navires sont développés, notamment l’aluminium et le plastique qui sont plus complexes à recycler. Différents problèmes commencent à apparaître pour créer des chantiers de démantèlement. En effet, la localisation de ce genre de chantier requiert des conditions spéciales. Il lui faut un bon bassin d'échouage et il doit être accordé avec les marées.
Le démantèlement est devenu très complexe et requiert une véritable technique afin de ne pas être dangereux pour l’environnement et ceux qui le pratique.
C’est à partir des années 1960 que les premiers chantiers de démantèlement naval vont se délocaliser vers l’Asie.Ce sont des chantiers ou la main d'œuvre est peu payée et ou très peu
d’installations sont mises à disposition afin de démanteler sans impact pour les Hommes ou pour l’environnement.
La principale cause du développement de ce genre d’entreprises de démantèlement est le coût de démantèlement. Arrivés à la fin de leur vie, les navires deviennent un problème pour les armateurs qui n’ont pas d’intérêt à dépenser dans un bateau qui ne va plus rien leur rapporter.
Avec les efforts de décarbonation, les navires vont être suivis par des contrôles dès leur construction et tout au long de leur vie. Malgré cela, le démantèlement des navires reste difficile à contrôler et de nombreuses techniques sont utilisées par les armateurs afin de ne pas avoir à s’occuper d’un navire qui ne rapporte plus rien.
Le droit tente de réglementer ces failles. C’est le cas du droit européen, qui instaure une liste de chantier de démantèlements éthiques et où tous les navires sous pavillons d’États européens ont l’obligation d’être démantelés. La Convention de Hong Kong, adoptée en 2009, mais pas encore entrée en vigueur peut aussi être un exemple. Afin de lutter contre les chantiers de démantèlement laxistes; celle ci imposerait un plan de recyclage.
Deux enjeux s'observent alors ici: les problèmes rencontrés lors du démantèlement des navires mais également les solutions envisagées pour construire un système de démantèlement plus équitable et durable. Au fur et à mesure, un cadre juridique lié au démantèlement des navires a été instauré (I) Cependant, le manque d’effectivité des outils juridiques internationaux engendre des difficultés quant à un système de démantèlement équitable et neutre pour l’environnement (II).
I- Le cadre juridique lié au démantèlement des navires
Afin d’encadrer l’activité de démantèlement, il y a d’abord eu des Conventions générales sur les déchets.
C’est le cas de la Convention de Bâle sur les déchets dangereux adoptée en 1989 et entrée en vigueur en 1992. Cette Convention inclut les navires en démantèlement puisque ceux-ci sont composés de matériaux dangereux (amiante, métaux lourds, hydrocarbures etc...). Cette convention a été le premier instrument de régulation des mouvements de déchets dangereux.
L’objectif de cette Convention est de protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets des mouvements de déchets dangereux. Les navires peuvent devenir des déchets au sens de la Convention. Elle définit des déchets comme “des substances ou des objets qu’on élimine, qu’on a l’intention d’éliminer ou qu’on est tenu d’éliminer”.
La Convention de Bâle instaure un système de contrôle prévoyant une procédure de consentement préalable pour les mouvements transfrontières de déchets dangereux d’un État à un autre.
Ainsi, le mouvement de déchets dangereux n’est possible que si l’État d’exportation et l’État
d’importation ont donné leur autorisation par écrit et qu’il y ait un contrat entre l’exportateur et l’importateur. Cela permet de contrôler les flux de déchets tout autour du monde et également de les limiter.
De plus, l'amendement de la Convention de Bâle instaurée en 1995 interdit tout mouvement de déchets dangereux au départ des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) (1), des pays de l’Union européenne et du Lichtenstein vers les autres pays. Il est appliqué dans l’Union européenne mais pas encore entré en vigueur dans tous les pays.
Avec la Décision VII/26 de 2004 de la Convention des Parties à la Convention de Bâle le navire peut devenir un déchet dans l’article 2 de la Convention de Bâle et il peut dans le même temps être un navire comme défini par d’autres règles internationales.
En 2019, un nouvel amendement (2) est entré en vigueur limitant davantage l’exportation de déchets des États membres de l’OCDE. Est désormais illégal, tout transfert de navire en fin de vie sous pavillon des États européens (3) vers les chantiers asiatiques.
Est apparu ensuite une convention qui pourrait révolutionner le droit maritime et le droit de l’environnement en instaurant un cadre bien précis.
La convention de Hong Kong adoptée en 2009 mais qui n’est pas encore entrée en vigueur. Cette convention représente une avancée majeure pour le traitement des navires en fin de vie. Elle repose sur une approche dite “ de bout en bout”. C'est-à-dire qu’elle instaure un système de contrôle et d'exécution suivant toute la vie du navire, de la conception jusqu’au recyclage.
La Convention de Hong Kong donne une définition de ce que doit être une installation de recyclage de navire c’est-à-dire «zone définie qui est un site, un chantier ou une installation utilisée pour le recyclage de navires» (Article 2, point 11).
Cette convention instaure des normes afin de garantir un recyclage sûr pour les personnes travaillant dans les chantiers. Elle garantit également un recyclage durable des navires. Afin de pallier le manque de normes dans les industries de démantèlement de navires, la Convention prévoit un système de visite et de délivrance de certificats applicable aux navires. Elle prévoit également la nécessité d'acquérir une autorisation pour les installations de recyclage de navires ainsi que l’élaboration d’un plan de recyclage. De plus, serait instaurée une obligation pour les propriétaires des navires de rédiger un inventaire des matières potentiellement dangereuses à bord du navire à démanteler.
Avec cette Convention la responsabilité des États du pavillon serait davantage sollicitée : est
instauré l’obligation d’effectuer une visite finale afin de pouvoir délivrer un certificat international attestant que le navire est prêt pour le recyclage.
Il y a cependant quelques limites au champ d’application de cette Convention. Celle ci s’applique à la plupart des navires commerciaux et des navires appartenant à des armateurs privés. Cependant, elle ne s’applique pas aux navires de petite taille ( jauge brute inférieure à 500 GT), aux navires de guerre ou autres navires d’État, ni aux navires destinés au transport intérieur.
Le traitement ultérieur à l’installation de recyclage des navires n’est pas visé dans la Convention. Un manque de finalité dans les revendications de cette Convention explique le nombre peu élevé de ratification de cette Convention.
Des règlements régionaux se mettent en place afin de régir cette activité et de l’encadrer afin de limiter le côté nocif du démantèlement des navires.
Dans l’Union européenne, le règlement européennº1013/2006 relatifs aux transferts transfrontaliers de déchets met en œuvre la Convention de Bâle sur les déchets dangereux de 1989. Il interdit le transfert de déchets dangereux vers les pays non membre de l’OCDE. Avec la Convention de Hong Kong, un nouveau règlement est mis en oeuvre : le règlement nº1257/2013. Il précise davantage le futur des déchets dangereux. Notamment, en terme de démantèlement, il instaure une liste de chantiers éthiques dans lesquels les navires battant pavillon d’un pays européen ont l’obligation de démanteler.
En Afrique, est adoptée la Convention de Bamako entrée en vigueur le 22 avril 1998 sous l’égide de l’Organisation de l’Unité Africaine. En réponse à la Convention de Bale, les pays africains ont prohibé tout transfert de déchets dangereux vers leur continent. Lors de la troisième conférence des parties à la Convention de Bamako qui a eu lieu du 12 au 14 février 2020 à Brazzaville, des nouvelles listes de substances interdites à l’importation dans les pays d’Afrique. Les États parties réaffirment leurs engagements sur le traitement des déchets.
II - Un manque d’effectivité des outils juridiques internationaux pour l’encadrement de l’activité de démantèlement
Malgré les différentes règlementations instaurées par le droit, des abus existent de la part des armateurs ou même de certains États notamment grâce à des techniques de détournement du droit de l’environnement et des Conventions.
Le recours à la technique de « l’acheteur au comptant » par les armateurs est une technique assez commune. Cette technique consiste pour les armateur à revendre leur navire à la fin de leur navire en changeant le pavillon pour l’enregistrer dans un État plus souple en matière de démantèlement. Il existe des sociétés spécialisées dans cette activité de rachat de navires afin de les faire démanteler, elles sont appelées les Cashbuyers. Les pavillons dit souples dans leur règles sociales, écologiques et fiscales sont souvent de petits États dépourvu de moyens afin de limiter ce genre de détournements (par exemple les Comores) ou également des États n’ayant pas de règlement législatif sur le sujet. Afin d’illustrer l’exemple du recours aux sociétés de Cashbuyers, l’exemple du navire Harrier est intéressant. Ce navire a été renommé plusieurs fois afin de limiter sa traçabilité, puis grâce à des documents falsifiés, il devait se rendre dans un port afin de se faire réparer. Cette fausse escale cachait en fait son dernier voyage pour se faire démanteler en Inde. Grace à des enquêtes, l’armateur et la société de Cashbuyer ont pu être retrouvés et condamnés pour écocides (4).
Une autre difficulté au respect des Conventions est le fait que les navires de guerre ne font pas parties du champ d’application de la Convention de Bâle. Certains États peuvent tirer profit de cette exclusion des navires de guerre comme c’est le cas de la France. C’est l’exemple du démantèlement du porte-avion Clémenceau en 2006. La ministre de la défense plaidait pour la qualification du navire comme matériel de guerre. Cela lui permettrait de justifier l’exportation du navire vers un chantier en Inde.Cependant, ayant ouvert un appel d’offre pour le découpage et la démolition de la coque, le juge administratif considère que cela suffisait pour qualifier le navire de déchet et d’appliquer la Convention de Bâle.
Avec le règlement européen nº1257/2013, a été instaurée une liste de chantiers de démantèlement respectueux des normes sociales et écologiques dont les États de l’Union européenne ont obligation de recourir. Cependant, on note que sur les 763 navires destinés au démantèlement en 2021, 583 ont été démantelés sur les plages d’Asie du Sud-Est. Cela s’explique par l’insuffisance des chantiers européens pour assurer le démantèlement des navires. Il y a encore très peu de disponibilité. Le démantèlement propre d’un navire prend beaucoup de temps, d’autant plus que deux chantiers turcs ont été retirés de la liste à cause d’accidents mortels.
Conclusion :
Avec la signature de la Convention de Hong Kong par l’Inde et la Turquie en 2019, l’entrée en vigueur de la Convention pour 2025 pourrait devenir une réalité. Cela une grand partie des problèmes sociaux et environnementaux qu’engendre le démantèlement.
En attendant,des mesures ont été mises en place afin de pallier à ces difficultés notamment en France. Une ecotaxe a été mise en place pour le démantèlement des navires de plaisance exclus du régime de Hong Kong. Depuis la loi sur la transition énergétique, tout propriétaire d’un navire de plaisance doit payer une taxe correspondant à la responsabilité élargie du producteur. Celle-ci couvre le coût de démantèlement des navires via des filières de recyclage agréés.
Une entreprise brestoise Navaleo a été agréée par la Direction Régionale de l’environnement de l’Aménagement et du Logement (DREAL) sur des critères correspondant à la Convention de Hong Kong et inscrite sur la liste des chantiers européens agréées afin de démanteler les sous marins nucléaires lanceurs d’engin de Naval Group.
De plus la liste des sites de démantèlement regroupe 45 sites dont 38 sont situés en Europe.
Notes de bas de page :
(1) C’est une organisation internationale dont les États membres, dont la plupart sont des pays développés, ont en commun un système de gouvernement démocratique et une économie de marché.
(2) Règlement BAN
(3) À l’exception des navires de guerre et de plaisance.
Bibliographie
Textes officiels :
Convention de Bâle sur le controle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination signée le 22 mars 1989, entrée en vigueur le 2 mai 1992.
Convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires, signée le 15 mai 2009.
Convention de Bamako sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le controle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets dangereux produits en Afrique, signé en janvier 1991, entrée en vigueur en 1998.
Règlement européen numéro 1013/2006, 14 juin 2006 sur le transfert transfrontalier de déchets.
Règlement européen numéro 1257/2013 du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 relatif au recyclage des navires modifiant le règlement numéro 1013/2006.
Ressources générales :
Instrument financier pour faciliter le recyclage sûr et sain des navires, Rapport de la Commission européenne, Ecorys, Erasmus School of Law, juin 2016 <https://ec.europa.eu/environment/pdf/ waste/ships/financial_instrument_ship_recycling.pdf>
BOURREL Marie :La Convention de Hong Kong ou la mise en place d’une procédure de suivi et de controle du démantèlement des navires en fin de vie, Neptunus, revue électronique, Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, volume 16, février 2010
DEVAUX C.,Cours de Droit maritime, Université de Nantes, 2022-2023
VALERO C, Les perspectives du démantèlement et du recyclage des navires, Note de Synthèse ISEMAR institut supérieur d’économie maritime Nantes St Nazaire, n°235, Novembre 2021
Ressources numériques :
The controversial case of the Harrier, site de l’Organisation Non Gouvernemental Shipbreaking Plateform <https://shipbreakingplatform.org/spotlight-harrier-case/> consulté le 28 mai 2023
La démolition de navires au plus bas en 2022, Le marin, publié le 16/02/2023 17:06 | Mis à jour le 17/02/2023 13:31 consulté en ligne le 26 mai,https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/chantiers-navals/la-demolition-de-navires-au-plus-bas-en-2022-46436
Navaleo, Transport et recyclage du Rio Tagus, publie le 21 octobre 2022, consulté le 25 mai 2023, https://www.navaleo.fr/nos-references/deconstruction-navale/transport-et-recyclage-du-rio-tagus/
Démolition navale: un travail dangereux, site web de l’Organisation International du Travail, publié le 23 mars 2015 consulté le 25 mai 2023https://www.ilo.org/global/topics/safety-and-health-at-work/areasofwork/hazardous-work/WCMS_356547/lang--fr/index.htm
Armateur de France, Démantèlement des navires, aout 2020, consulté en ligne le 25 mai 2023, https://www.armateursdefrance.org/sites/default/files/decryptage/fiche_recyclage_des_navires.pdf
DESCAMPS A. Démantèlement de navires : l'UE retire la licence à deux chantiers turcs, Journal de la marine marchande, publié le 15 décembre 2022, consulté le 28 mai 2023,https://www.actu-transport-logistique.fr/journal-de-la-marine-marchande/actualite/demantelement-de-navires-lue-retire-la-licence-a-deux-chantiers-turcs-749122.php
DESCAMPS A., L'Europe ne parvient toujours pas à s'imposer sur le démantèlement des navires,Journal de la marine marchande, publie le 2 février 2022, consulté le 28 mai 2023https://www.actu-transport-logistique.fr/journal-de-la-marine-marchande/shipping/leurope-ne-parvient-toujours-pas-a-simposer-sur-le-demantelement-des-navires-748558.php
Démantèlement de navires : le Bangladesh, nouveau leader mondial,Le marin, Publié le
05/01/201618:30https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/environnement/24008-
demantelement-de-navires-le-bangladesh-nouveau-leader-mondial
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