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Photo du rédacteurBlanche Thomas

Sealand : la folle création d’un Etat depuis un îlot artificiel



1) Les origines du fort : un poste de radio dans les eaux internationales


En 1960, “Roughs Tower”, n’est qu’un ancien fort, s’apparentant d’ailleurs plutôt à une plateforme, utilisé par l’armée britannique pendant la 2e Guerre Mondiale afin de défendre l’estuaire de la Tamise. Situé à 10 kilomètres des côtes anglaises dans la mer du Nord, il est alors dans les eaux internationales. Utilisé comme d’autres forts pour émettre des ondes de radio illégales ludiques, il n’inquiète pas les autorités britanniques.


De son côté, Paddy Roy Bates est major décoré de l’armée britannique ; ayant le goût de l’aventure, il s’installe avec sa famille en 1966 sur la plateforme insalubre de 550m2 pour y créer à son tour une radio pirate. Ayant dû quitter précédemment un autre fort, “Knock John”, sur lequel il s’était initialement installé, il est cette fois bien décidé à rester. La cohabitation entre la famille Bates les occupants initiaux du fort se déroule de manière plutôt paisible jusqu'à ce que des rixes éclatent, au terme d’accords plus ou moins respectés, et qui se terminèrent en faveur des nouveaux arrivants. “Radio Essex” voit le jour et en 1967, Bates déclare la souveraineté de son îlot, qu’il appelle Sealand.




2) La revendication de la souveraineté par Roy Bates. L’envoi d’ondes illégales.


La qualification juridique de ces forts et la limite de la mer territoriale :


Comme mentionné sur le site officiel de l’Etat de Sealand, ces forts ayant été construits illégalement dans les eaux internationales, démarrant alors à 3 milles de la côte, un grand nombre d’entre eux furent détruits. Roughs Tower est ainsi considéré comme un territoire international.


La question des ondes illégales :


Dans cette période d’après-guerre, la BBC possédait le monopole des émissions radio; des radios dites “pirates” se sont alors installées sur les plateformes en haute mer afin d’émettre à destination de la côte des programmes humoristiques et de musique pop. Roy Bates ayant déjà été condamné par la justice pour Radio Essex, qu’il diffusait depuis Knock John sous la limite des 3 milles marins, reprit ses activités sur Roughs Tower ; pour éviter tout nouvel empêchement de la part du gouvernement britannique, il déclara l’indépendance de la plateforme, qui devint la Principauté de “Sealand”. Comme le proclame l’Etat de Sealand, Roy Bates revendique la “loi des nations”, le “jus gentium” sur une “terra nullius”, c’est-à-dire un espace international n’appartenant donc à personne. Radio Essex était ainsi mise à l’abri de toute nouvelle intervention du gouvernement britannique, qui aurait constitué une ingérence étrangère.


3) L’acceptation par les Etats tiers : un flou juridique rendu possible seulement par l’absence de réglementation internationale.

Un coup d’Etat épique :


Les rebondissements liés à cette proclamation furent nombreux et souvent guerriers, mais le plus fameux pouvant nous intéresser est sans aucun doute la tentative de coup d’état, qui reflète l’impact juridique et diplomatique phénoménal de la situation.


En 1978, le Premier Ministre de Sealand, le professeur Achenbach de nationalité allemande, accompagné de quelques citoyens des Pays Bas et profitant de l’absence de Roay Bates, prit son fils en otage et occupa la forteresse. L'ancien major enrôla alors des mercenaires et à l’aide d’un hélicoptère reconquit sa terre et fit des prisonniers de guerre. Si les citoyens néerlandais ont par la suite été rapatriés, Alenbach fut constitué prisonnier à vie pour “haute trahison”. L'intérêt de cette affaire se situe dans le refus du Royaume-Uni d’intervenir même sur pétition des gouvernements allemand et néerlandais, basant sa décision sur un arrêt du tribunal administratif du 25 novembre 1968 qui plaçait Roughs Tower dans les eaux internationales et donc insusceptible d’intervention par une autorité étrangère.


Enfin, l’envoi d’un négociateur par l’Allemagne fut considéré comme une reconnaissance diplomatique de Sealand et aboutit à la libération du prisonnier.

Une reconnaissance tacite mais non officielle :


Aujourd'hui, Sealand n’est pas officiellement reconnu par les Etats traditionnels mais est toléré par le Royaume-Uni, qui se considère tout de même propriétaire du fond marin sur lequel se situe la plateforme ; il est dit qu’une tentative de reconquête n’apporterait aucun bénéfice, pourrait coûter la vie à plusieurs hommes et serait un fiasco médiatique monstrueux.

Enfin, si pendant un temps il était possible d’acheter un passeport de Sealand et donc d’obtenir une nouvelle nationalité, en 1997 les autorités du fort ont déclarées caduques les passeports précédemment émis car ceux-ci étaient principalement utilisés par les trafiquants de drogue.




4) Et si Roy Bates avait voulu créer Sealand aujourd’hui ?

Depuis 1982, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay, réglemente les frontières maritimes inter-étatiques et les différents régimes qui s’y appliquent. Une comparaison permet de se rendre compte de la situation inédite qu’est la création de Sealand, tant la Convention de Montego Bay est ancrée dans les régimes juridiques des Etats membres : les articles portant sur l’émission d’ondes radio et tout simplement sur les limites de la mer territoriale sont de fait les plus révélateurs.

Les limites de la mer territoriale du RU


Article 2 - Régime juridique de la mer territoriale et de l'espace aérien surjacent, ainsi que du fond de cette mer et de son sous-sol 1. La souveraineté de l'État côtier s'étend, au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures et, dans le cas d'un État archipel, de ses eaux archipélagiques, à une zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale. […]

Article 3 - Largeur de la mer territoriale 3 Tout État a le droit de fixer la largeur de sa mer territoriale, cette largeur ne dépasse pas 12 milles marins mesurés à partir de lignes de base établies conformément à la Convention.


Le cas de figure est ici très simple, le fort ayant servi de territoire à Sealand se trouvant à seulement 3 milles marins des côtes britanniques, il se serait trouvé sous juridiction du Royaume-Uni et aurait donc été insusceptible d’appropriation.

L’interdiction des ondes hertziennes


Article 109 : […] 2. Aux fins de la Convention, on entend par « émissions non autorisées » les émissions de radio ou de télévision diffusées à l'intention du grand public depuis un navire ou une installation en haute mer en violation des règlements internationaux, à l'exclusion de la transmission des appels de détresse. […]

3. Toute personne qui diffuse des émissions non autorisées peut être poursuivie devant les tribunaux de : a) l'État du pavillon du navire émetteur ; b) l'État d'immatriculation de l'installation ; c) l'État dont la personne en question est ressortissante ; d) tout État où les émissions peuvent être captées ; ou e) tout État dont les radiocommunications autorisées sont brouillées par ces émissions.

4. En haute mer, un État ayant juridiction conformément au paragraphe 3 peut, en conformité avec l'article 110, arrêter toute personne ou immobiliser tout navire qui diffuse des émissions non autorisées et saisir le matériel d'émission.


Dans l’hypothèse où Sealand se trouvait réellement en haute mer, Roy Bates se serait tout de même retrouvé confronté à la Convention, dans la mesure où il émettait ses émissions de radio à destination du grand public en violation des lois du Royaume-Uni, ces ondes s’apparentant à tout sauf à des appels de détresse. Le major aurait donc pu être poursuivi devant les tribunaux de l’Etat britannique sur le fondement de sa nationalité, du fait que le Royaume-Uni puisse capter ces émissions et que ses radiocommunications en soient brouillées.

La création de Sealand s’apparente donc à une belle épopée, dont les multiples retournements de situations auraient pu empêcher cet aboutissement, s’il n’y avait eu la ténacité du rêve fou de Roy Bates. Si de nos jours une telle aventure n’aurait pu avoir lieu, Sealand reste bel et bien existante même si l’attitude conciliatrice du Royaume-Uni en a été la clé. À ceux dont leur Etat d’origine ne suffit plus, il est tout à fait possible d’obtenir une carte d’identité de Sealand, d’en acquérir une parcelle ou d’y intégrer l’aristocratie en achetant un titre de noblesse.


Bibliographie

Principauté de Sealand, “À propos de Sealand”, Sealand e Mare Libertas, À propos de Sealand | Principauté de Sealand | Histoire de Sealand (sealandgov.org)


Stéohane Champagne, “Paddy Roy Bates (1922-2012) : prince autoproclamé d’une micronation”, 15 octobre 2012, La Presse Paddy Roy Bates (1922-2012): prince autoproclamé d'une micronation | La Presse

“Dans la micronation de Sealand, on résiste aux Anglais... et au Covid-19", 17 décembre 2021, L’Union Dans la micronation de Sealand, on résiste aux Anglais… et au Covid-19 (lunion.fr) Frédéric Lasserre, “Les hommes qui voulaient être rois II. Sociologie des Etats privés”, 2012, Open Edition Journals Les hommes qui voulaient être rois II. Sociologie des États privés (openedition.org)

Alan Bellows, “The History of Sealand”, novembre 2005, Damn Interesting The History of Sealand • Damn Interesting

Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1982 Convention droit de la mer (ifmer.org)

Crédits photos

  • L’Union

  • La Presse


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