top of page
Rechercher
Photo du rédacteurThomas Lesigne-Godefroy

Pêche artisanale et peuples autochtones : les défis de la FAO

Les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté (les Directives), sont un texte adopté par l’Organisation des Nations-Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), suite à un dialogue avec les organisations non-gouvernementales (ONG) et les organisations professionnelles, entamé en 2010 et achevé en 2014. L’intérêt premier de ce texte est qu’il a vocation à représenter tous les intérêts et s’est ainsi construit en concertation avec les Etats, les entités de la société civile et les communautés de pêche artisanale. De plus, ce document a une nature volontaire, s’adressant particulièrement aux pays en développement. Chaque Etat dispose ainsi de recommandations qu’il est libre de transposer dans son droit interne.


L’année 2022 est pour la FAO l’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales (IYAFA). A cette occasion l’accent est donc mis sur les 9 thématiques traitées par les Directives, incluant majoritairement les notions d’équité entre les Etats, les peuples, les sexes, et même les générations. En somme, ce sont là les principes clés pour que la pêche soit durable et profite à tous. La notion même de pêche artisanale n’est pas définie, il appartient donc à chaque Etat d’en faire sa propre acception, ce qui peut poser problème mais dans un même temps permet à chaque Etat d’avancer à son rythme dans ce domaine de pêche durable.

A l’occasion de l’IYAFA, il est intéressant de s’attarder sur deux aspects des Directives. Le premier concerne les peuples autochtones et leur droit à pratiquer leur pêche artisanale ainsi que leur intégration aux questions sur le sujet. Cette étude est intéressante en ce qu’elle est brulante d’actualité, au Canada comme au sein de l’Union européenne (UE). Le second concerne la sécurité alimentaire en centrant la réflexion sur les farines et huile de poisson, les besoins et mode de consommation des uns entrainant de lourdes répercussions sur les autres.




Les peuples autochtones de l’Amérique du Nord à l’Europe de l’Est : des populations frappées par le non-respect des Directives par leurs Etats


« Les peuples autochtones sont étroitement liés aux techniques ancestrales de pêche qui leur ont permis de survivre à travers les siècles dans des conditions de vie extrême. » Ces propos d’Alvaro Pop, siégeant au Parlement de l’ONU sur les problématiques liées aux autochtones, montre tout le particularisme de ces peuples qu’il convient d’intégrer à la politique globale sur la pêche et l’aquaculture artisanales. S’il appartient aux Etats de définir ce qu’ils entendent par pêche artisanale, il est aisé de se figurer la manière dont les peuples autochtones pratiquent la pêche, et force est d’admettre qu’elle est de facto artisanale, car à petite échelle et sans gros dispositifs. C’est la raison pour laquelle ils sont pleinement pris en compte dans les Directives. En ce sens, dès l’introduction où les principes directeurs sont posés, est rappelée l’obligation de respecter ces cultures (article 2) et d’assurer leur participation active, libre, efficace, utile et en connaissance de cause aux débats les intéressant (article 6). Dans la partie 2 sur la pêche responsable et le développement durable, les Etats sont même incités à reconnaître le rôle des communautés d’artisans pêcheurs et des peuples autochtones en matière de conservation, protection et cogestion des écosystèmes aquatiques et côtiers locaux (article 5.5). C’est pourquoi, dans le cadre de l’IYAFA, il est intéressant de mettre la lumière sur trois problèmes majeurs que rencontrent ces peuples autochtones, au Canada et dans l’UE, pour jouir de leur droit à pratiquer leur pêche artisanale.


Les Indiens du Canada : la problématique de la pêche de subsistance convenable


Au Canada, les peuples autochtones font l’objet de nombreuses préoccupations et cela se traduit notamment par la Loi sur les indiens de 1876. En matière de pêche, les Indiens sont autorisés à pratiquer une « pêche de subsistance convenable ». Cette expression n’est cependant nullement définie par la Haute autorité canadienne, ce qui entraîne des conflits entre les pêcheurs non autochtones déplorant une pêche pratiquée hors saison et entre les autochtones eux-mêmes se prévalant de leur nécessité à se nourrir. Là-bas, la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles (dite ASR) a une valeur constitutionnelle au sens de la loi de 1982 et ne permet à la collectivité indienne de pêcher « uniquement ce qui leur est nécessaire », et à « divers moments de l’année ». Tout le problème est ici posé : dès lors que le critère ou baromètre de nécessité n’est pas posé, il demeure impossible pour lesdits Indiens d’en connaitre les limites. Il y a donc d’un côté les pêcheurs non autochtones qui estiment que la pêche hors saison demeure toujours illégale, et de l’autre les autochtones, prenant appui sur le jugement Marshall de 1999 rendu par la Cour suprême canadienne, qui estiment avoir un accès continu à la ressource. L’espoir d’une entente en matière de pêche entre les deux peuples reste cependant tout à fait possible comme l’affirme Martin Mallet, directeur général de l’Union des pêcheurs des Maritimes au Canada. Il ajoute même qu’il y a déjà des « échanges entre les deux groupes de pêcheurs avec des programmes de mentorat », ce que le Canada et l’IYAFA doivent encourager.



Les Samis de Norvège et Finlande : l’absence de participation citoyenne et la violation des droits fonciers


Sur le fleuve du Deatnu qui borde la Norvège et la Finlande vivent les Samis, dernier peuple autochtone du territoire de l’UE. Depuis des siècles, ils y pratiquent la pêche qui leur a permis de vivre jusque-là, en parallèle de l’exploitation de la toundra et de l’élevage de rennes. Seulement, en 2021, la Norvège et la Finlande ont adopté une politique de licence de pêche praticable à certaines périodes de l’année, afin de permettre au saumon notamment de se reproduire et éviter ainsi la surpêche. Cette politique nuit aux Samis qui pratiquent une pêche artisanale à petite échelle, d’autant que le parlement samis n’a pas été consulté pour cette décision, contrairement à ce que demandent les Directives. Certaines figures samis y voient là une interdiction directe pour leur peuple de pratiquer leur pêche artisanale et ancestrale, comme l’affirmait en 2017 Aslak Holmberg, alors vice-président du conseil samis, lorsque le projet de loi était encore en discussion : « ils disent qu’ils protègent le saumon contre nous. Contre nous ?! Alors que nous sommes ceux qui en dépendent le plus. », avant d’ajouter : « c’est du vol ». Le problème en tant que tel n'est en réalité pas tant la fermeture des pêches pour la reproduction des poissons que l'inégale répartition des droits d'accès auxdites ressources.


Leur droit de pêche a en effet été réduit de 80%. Le problème principal que rencontrent les Samis est qu’ils doivent prouver leur possession d’un droit foncier sur le Deatnu. Une conseillère municipale de la ville d’Ohcejohka, en Finlande, rappelle en ce sens que jamais personne n’a concédé de terres au gouvernement finlandais. Les Directives demandent pourtant aux Etats, en son article 5.4 de la Partie 2, de « respecter et protéger toutes les formes de droits fonciers légitimes, compte tenu, le cas échéant, des droits coutumiers dont jouissent les communautés d’artisans pêcheurs sur les ressources aquatiques et les terres et zones de pêche artisanale ». Plus encore, les Etats doivent « prévoir une législation à cet effet ». Il est donc important que la Finlande et la Norvège, inspirées par l’IYAFA, prennent note de leurs engagements et respectent ce droit foncier des autochtones.


En bref


Sur la question des peuples autochtones, l’année de la pêche artisanale et de l’aquaculture peut être l’occasion de rappeler aux Etats leurs engagements auprès de la FAO en matière de protection des peuples autochtones. Pour le Canada, l’enjeu sera non seulement de définir ce qu’il entend par ressources suffisantes, mais plus encore d’instaurer un climat de quiétude entre les pêcheurs commerçants et les pêcheurs autochtones autosuffisants. Pour la Norvège et la Finlande, l’enjeu sera, en plus de respecter et protéger les droits fonciers des autochtones, d’intégrer pleinement les Samis aux négociations et projets de loi les concernant et visant directement, comme cela doit être en fait en vertu des principes directeurs des Directives présents dans la Partie 1 : « assurer une participation active, libre, efficace, utile et en connaissance de cause des communautés d’artisans pêcheurs, y compris des peuples autochtones, en tenant compte de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans l’ensemble du processus de décision concernant les ressources halieutiques et les zones où la pêche artisanale est pratiquée. […] Il faut à cet effet obtenir un retour d’informations et le soutien des personnes qui peuvent être concernées par des décisions avant que celles-ci ne soient prises ».




Bibliographie :



- EQUAL TIMES. Le dernier peuple autochtone de l’UE lutte pour les droits à l’autodétermination et à la terre [en ligne]. Equaltimes.org, 2021. Disponible sur : https://www.equaltimes.org/le-dernier-peuple-autochtone-de-l#.YeFh__7MK01 (consulté le 8 janvier)


- FAO. Les peuples autochtones [en ligne]. Fao.org, 2021. Disponible sur : https://www.fao.org/voluntary-guidelines-small-scale-fisheries/guidelines/indigenous-peoples/fr/ (consulté le 9 janvier)


- FAO. Sécurité alimentaire et nutrition dans les pêches artisanales [en ligne]. Fao.org, 2021. Disponible sur : https://www.fao.org/voluntary-guidelines-small-scale-fisheries/guidelines/nutrition/fr/ (consulté le 8 janvier)


- FAO, Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté, 2014


- MSC. Rapport « Pêche Durable et Sécurité Alimentaire, quels défis pour demain ? » : 72 millions de personnes sont privées de nourriture à cause de la surpêche [en ligne]. MSC.org, 2021. Disponible sur : https://www.msc.org/fr/espace-presse/communiques-presse/rapport-securite-alimentaire-2021 (consulté le 8 janvier)


- RADIO CANADA. Droits autochtones : qu'est-ce qu'une pêche de subsistance convenable? [en ligne]. Ici.radio-canada.ca, 2020. Disponible sur : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1745470/definition-peche-autochtone-nouvelle-ecosse-micmac (consulté le 9 janvier)


52 vues0 commentaire

Commentaires


bottom of page