Selon le professeur de sciences marines à l'Université des sciences et technologies du roi Abdallah en Arabie Saoudite Carlos Duarte "Les forêts d'algues ne devraient pas être laissées pour compte. Elles ont été oubliées pendant bien trop longtemps." (Carlos Duarte concentre ses recherches sur l'importance du "carbone bleu" : une expression faisant référence au dioxyde de carbone retiré de l'atmosphère par les écosystèmes océaniques côtiers du monde (Conférence de presse sur le Patrimoine mondial marin de l'UNESCO - Les gardiens des ressources de carbones bleu du globe du 2 mars 2021)). Cette déclaration montre que les forêts marines sont méconnues et pourtant, très utiles, même nécessaires à l'environnement et à la planète bleue.
La méconnaissance de ces espaces marins n'empêche par leur exploitation par l'industrie pharmaceutique, alimentaire ou encore textile. Ces activités ne sont pas sans conséquence, mais il est difficile de mesurer leurs impacts sur un environnement si peu étudié. Les forêts marines sont nombreuses. Pourtant seulement deux sont officiellement nommées : la Great African Seaforest en Afrique et la Great Southern Reef en Australie. Ces forêts abritent une grande biodiversité et se développent exclusivement dans les eaux côtières à une température n'excédant pas 20 degrés en principe. Plusieurs types de forêts marines sont présentes en mer, les plus importantes sont composées de kelp. d'autres sont des forêts de zostères présentes en Bretagne par exemple. Existe encore le récent cas des anciennes forêts de cyprès ou de chênes aujourd'hui submergées par les eaux.
Les forêts sous-marines sont la base d'un écosystème très riche. Les espèces qui y vivent sont interdépendantes.
Ces réservoirs de biodiversité sont en plus un atout car ils absorbent le dioxyde de carbone. Les forêts de kelp, en particulier, sont parfois désignées comme le second poumon de la planète, derrière la forêt Amazonienne.
Cet article mettra en lumière la méconnaissance de ces forêts marines ayant pourtant un rôle essentiel dans les écosystèmes marins (I). L'exploitation des algues ainsi que le réchauffement climatique ne ménagent pas ces forêts qui sont encore trop peu étudiées (II) malgré leurs avantages pour la protection des écosystèmes marins (III).
I. Les forêts sous-marines ; véritables réservoirs de biodiversité
Au-delà d'être le second poumon de la planète bleue, les forêts de kelp sont présentées comme étant "les sentinelles du changement environnemental" (expression du professeur Jarret Byrnes, documentaire Kelp and Climate Change sur la chaîne Youtube New England Aquarium publié le 23 octobre 2014). Le kelp possède en effet une grande capacité à se reproduire et pousse très rapidement, c'est même l'une des plantes qui grandit le plus vite. Les forêts marines couvrent actuellement 7 millions de kilomètres carrés ; ce qui est plus grand que l'Amazonie. Le kelp pousse en captant l'énergie solaire et le dioxyde de carbone grâce à la photosynthèse. L'expansion rapide de ces forêts sous-marines implique qu'elles absorbent potentiellement plus de dioxyde de carbone que la forêt Amazonienne. En ce sens, ces forêts prennent un rôle proéminent et il devient plus que nécessaire de les protéger. Leur protection se fait notamment en créant des aires marines protégées. En France, en 2022, 33% des eaux françaises "sont couvertes par au moins une aire marine protégée" (Dossier de presse, Ministère de la transition écologique - Aires marines protégées Françaises, Brest 11 février 2022, page 7).
A l'échelle mondiale, le Patrimoine mondial marin de l'UNESCO occupe un rôle majeur. La Convention du patrimoine mondial signée en 1972 aide à protéger les sites terrestres et marins étant considérés comme exceptionnels. En 2013, 46 sites étaient classés en tant que patrimoine mondial marin (Patrimoine mondial marin : sauvegarder les joyaux de l'Océan, https://whc.unesco.org). Dans ces eaux côtières se trouvent une grande diversité de biodiversité et un grand nombre d'algues ; le fameux "carbone bleu".
Par ailleurs, les algues possèdent des bulles d'aires permettant de les faire tenir à la verticale. Certaines forêts de kelp mesurent jusqu'à 60 mètres de haut. Les bulles d'aire font remonter les algues à la surface formant ainsi des paysages inédits de canopées flottantes. Ces surfaces d'algues profitent aux loutres de mer considérées, selon le chercheur zoologiste Américaine Robert Paine, comme les espèces "clés de voute" de ces forêts marines (selon le zoologiste, la disparition de cette espèce entrainerait un changement trop brutal pour la vie des espèces également présentes dans l'écosystème. L'expression "espèce clé" est inventé par Robert T. Paine en 1969. Le zoologiste utilise alors le terme pour désigner une espèce d'étoile de mer disparue qui a entrainé la baisse du nombre d'autres espèces présentes de moitié.).
En termes de biomasse, les forêts marines sont très productives. Cela signifie qu'elles représentent l'organisme principal du biotope dont elles font parties. Cette importante biomasse permet de nourrir et d'alimenter en ressources les êtres vivants. De nombreuses espèces sont présentes dans ces forêts créant ainsi une véritable chaîne alimentaire ; les oursins mangent le kelp, les loutres, otaries ou encore langoustes mangent les oursins. De plus, les feuilles de kelp nourrissent les poissons des profondeurs lorsqu'elles tombent et elles nourrissent également les oiseaux lorsqu'elles échouent sur la plage. Selon Tom Ford, directeur de la Bay Foundation à Los Angeles, dans la baie de Santa Monica en Californie, "750 espèces dépendent de la bonne santé du kelp géant".
Les forêts marines sont des espaces regroupant une densité d'espèces importante. Même si leur productivité est unique, ces forêts font l'objet d'encore peu d'études scientifiques par rapport à l'usage que l'homme en fait.
II. Des espaces exploités mais méconnus
Actuellement la quantité de forêt trouvée représente deux fois l'Inde. La vitesse de pousse des kelps est d'environ 50 à 60 centimètres par jour. Ces forêts poussent au Chili, en Norvège, au Canada, en Tasmanie ou encore potentiellement en Arctique. Les forêts marines sont en déclin dans les zones du globe où l'eau se réchauffe. Par exemple, en Tasmanie près de 2/3 de la forêt marine a disparu en 50 ans. Les loutres de mer ainsi que les langoustes ont peu à peu disparu en 50 ans. Les loutres de mer ainsi que les langoustes ont peu à peu disparu laissant ainsi les oursins proliférer et manger le kelp. L'activité humaine est également en partie responsable de cette disparition de kelp en raison de la pêche à la langouste.
Le manque de considération certain pour ces forêts d'algues entraine des lacunes quant à la protection que les Etats peuvent mettre en place dans ces espaces.
Ainsi, certains chercheurs et militants mènent parfois des actions afin de nettoyer les champs d'oursins s'étant formés. Tom Ford et la Bay Foundation ont par exemple enlevé 16 hectares de champs d'oursins permettant ainsi le développement de nouvelles forêts de kelp. Certains chercheurs ont par ailleurs découvert l'existence de "super kelps" plus résistants au réchauffement climatique (selon une étude scientifique actuellement menée en Tasmanie, par le professeur Cayne Layton de l'Institut d'études marines et antarctiques de l'Université de Tasmanie.). La renaissance des forêts se fait donc par l'implantation de ces "super kelps" dans les espaces où les oursins ont été retirés. Ce projet est encore à ses balbutiements et par conséquent, une véritable renaissance n'est pas encore observée.
Le kelp se retrouve menacé par les activités humaines. L'exploitation de ces ressources pourrait avoir de grandes conséquences dont la science n'a pas encore précisément déterminé la portée. Les algues comme le kelp contiennent un hydrate de carbone nommé alginate. Celui-ci est utilisé dans les desserts, sauces et condiments, ainsi que dans la production de dentifrices par exemple. Le marché de l'algue représentait en 2021 1 milliard de dollars. Cette activité fortement lucrative a poussé les industriels à prélever les algues à la source et non plus à ramasser les algues détachées de leurs forêts.
Les différentes conventions internationales en vigueur ne prennent pas assez en considération les algues. La protection de la faune et de la flore a tendance à occuper une place majeure et les Etats sont plus enclins à protéger leurs zones coraliennes que leurs zones de forêts sous-marines. Cela est notamment dû au fait que les forêts sous-marines sont encore peu répertoriées. Dans la continuité de l'établissement d'aires marines protégées en France, l'article L110-4 du code de l'environnement pose l'objectif d'augmenter le nombre de ces aires. Le décret n°2022-527 du 12 avril 2022 définit les modalités de mise en oeuvre de la protection forte allouée à un écosystème (Journal officiel électronique authentifié n°0087 du 13/04/2022). Différents degrés de protection sont mis en place mais aux vues de l'utilité cruciale des forêts sous-marines, la France se doit de mettre en place cet outil de protection forte sur ces zones maritimes.
III. Un espoir face au désastre environnemental
Selon le professeur d'écologie marine à l'Université de Massachussetts à Boston Jarret Byrnes, il est nécessaire d'avoir davantage d'informations sur ces forêts marines afin d'en connaitre l'évolution et le potentiel. En ce sens, le projet de cartographie Floating Forests actuellement en cours consiste à l'observation et au recensement des forêts marines par des "scientifiques citoyens" bénévoles. Il parait en effet nécessaire de connaitre ces écosystèmes avant d'en récolter les ressources car, comme vu précédemment, les espèces y sont interdépendantes.
Si certaines forêts marines sont en déclin, une véritable naissance de forêts marines est observée en Antarctique et en Arctique par le réchauffement des eaux. D'importantes forêts de varech se développent en Arctique.
Il en est de même au large de Vancouver au Canada où les forêts de kelp poussent à une vitesse fulgurante et où il y a une importante population de loutres qui régulent naturellement la population d'oursins. Le projet Artickelp consiste d'ailleurs en la recherche de forêts sous-marines dans l'Arctique Canadien. Ce travail, notamment en raison du COVID-19 et de l'arrêt temporaire des activités, est réalisé avec l'aide des communautés Inuites de la région.
Enfin, une récente découverte a été faite au large de l'Alabama dans le golfe du Mexique. Une forêt marine d'anciens arbres terrestres vieille d'environ 52 000 ans a été repérée (CROSNIER Camille, Une forêt sous-marine, chronique France Inter du 26 janvier 2021). Une forêt similaire a été découverte en France ; des chênes vieux de 800 ans prospèrent sous la surface. Cette incroyable découverte n'est pas sans conséquence car elle permettrait d'en savoir plus sur la période glaciaire et d'alimenter la recherche médicale.
Les forêts sous-marines sont donc des paysages riches en biodiversité et en mystères qu'il faut étudier afin de mieux protéger les écosystèmes marins.
Sources :
- Extrait du livre "Des forêts et des hommes" rédigé par la rédaction de Good Planet à l'occasion de l'année internationale des forêts et disponible aux édition de la Matinière
- PESSARRODONA SILVESTRE Albert, FILBEE-DEXTER Karen, WERNBERG Thomas, Ever heard of ocean forests? They're larger than the Amazon and more productive than we thought, 16 septembre 2022
- NIESS Juliette, Les forêts de kelp : poumon de la planète, 18 janvier 2021
- RAYNALDY Romain, Les "forêts flottantes", sentinelles de la biodiversité, 27 mars 2018
- Regard sur l'Arctique, Plonger à la recherche de forêts sous-marines dans l'Arctique canadien, 8 septembre 2022
- CROSNIER Camille, Une forêt sous-marine, chronique France Inter du 26 janvier 2021
- BRYCE Emma, Ces forêts au fond des océans pourraient nous aider face à la crise climatique, 15 août 2021
- BRYCE Emma, Tasmania 'Super-kelp' is making CO2 vanish into the Ocean, 3 août 2020
- L'exploitation des forêts sous-marines de kelp est-elle durable ? 24 avril 2021, infonature.media
- ALLEMAND Denis, chronique du centre scientifique de Monaco, La loutre de mer, l'oursin et la forêt de kelp
- UNESCO, De nouvelles recherches mettent en évidence le rôle essentiel des sites marins du Patrimoine mondial dans la lutte contre le changement climatique, 25 février 2021
- Dossier de presse, Aires marines protégées françaises, The one Planet Summit For the Ocean, Présidence Française du conseil de l'Union Européenne, Brest, 11 février 2022
- Aquaportail, définition "espèce-clé"
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