D'innombrables sites de bateaux ayant été laissés à l’abandon il y a de nombreuses années par des pêcheurs, devenus pour bon nombre des épaves, se trouvent sur les côtes bretonnes et attisent la curiosité. Voici une présentation de certains d’entre eux, suivie d’un point sur le régime juridique qui leur est applicable et les problèmes qu’ils sont susceptibles de poser, qui entraînent leur disparition progressive.
Le cimetière de bateaux de Kerhervy (Lanester)
On peut y trouver d’anciens sardiniers, chalutiers et thoniers. Ce cimetière est apparu lors de la seconde guerre mondiale, les pêcheurs y ayant a priori laissé leurs bateaux pour qu’ils ne soient pas réquisitionnés par les Allemands. Dans les décennies suivantes, d’autres épaves y ont été abandonnées, la dernière datant de 2001.
Crédit photo : Christian LE GAC
Le cimetière de navires militaires de l’anse de Penforn (Landévennec)
Il s’agit sans doute du plus impressionnant, puisqu’y sont entreposés d’anciens bâtiments de la Marine nationale, ainsi que quelques navires civils tels que des paquebots, destinés à être démantelés. Il est possible de se rapprocher des navires pour les observer, mais il est strictement interdit d’y monter.
De la seconde moitié du XIXème siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale, ce site est utilisé comme réserve pour les bateaux de la Marine nationale qui sont encore en fonction. Dans les années 1950, il devient un cimetière pour les bateaux de la Marine nationale et pour quelques navires civils, préalablement désarmés. Ces navires n’y sont que de passage, laissés au mouillage pendant quelques années, avant de rejoindre des chantiers de démantèlement. Ainsi, le Dumont d’Urville, un bâtiment de transport léger de la Marine construit en 1980, a rejoint le cimetière en septembre dernier, en attendant son démantèlement.
Ce ne sont en réalité pas des épaves car ils ne remplissent pas tous les critères nécessaires à leur qualification comme telle : Ils ne sont ni abandonnés, ni en état de non-flottabilité (cf. infra). En effet, des militaires vérifient régulièrement qu’ils flottent correctement et que personne ne s’aventure à l’intérieur.
Crédit photo : Ronan COQUIL
Le cimetière de bateaux de Quelmer (Saint-Malo)
A marée basse, on peut y observer des épaves de bateaux en bois, certains datant du début du XXème siècle, d'autres ayant été peints par des artistes. Mais on trouve également des bateaux abandonnés, ou à l’état d’épave, qui sont polluants - notamment du fait de la désagrégation de leurs coques en plastique - ou dangereux ; raison pour laquelle la préfecture d’Ille et Vilaine a décidé, en octobre dernier, de prononcer la déchéance des droits des propriétaires inconnus d’une dizaine d’épaves et bateaux abandonnés afin de pouvoir procéder à leur enlèvement et leur déconstruction. Cela ne concerne a priori pas ceux ayant un intérêt patrimonial notoire, mais a tout de même fait l’objet de contestations de la part de certaines personnes qui souhaitent le maintien de ce site, ainsi qu’en raison de l’intérêt archéologique potentiel de certaines épaves en bois faisant l’objet de ces décisions.
Crédit photo : Christian LE GAC
Le cimetière de bateaux du Magouër (Plouhinec)
Plus petit mais non moins intriguant, on y trouve 3 épaves de thoniers, dont l’enlèvement avait été décidé en 2006 en raison de leur dangerosité, mais qui n’a pas eu lieu en raison d’une forte opposition des riverains qui avaient formé une association. L'accès aux épaves est toutefois interdit.
Crédit photo : Anne-Lise QUILLERÉ / Une ancre à l'Ouest
Le cimetière de bateaux du Port Rhu (Douarnenez)
Des épaves de vieux chalutiers et sardiniers du siècle dernier y sont présents. Un autre cimetière se trouvait non loin, celui de l’anse de Pouldavid, dans lequel des bateaux avaient été entreposés par le port-musée de Douarnenez pour être restaurés. Mais, faute de moyens, ils ont tous été détruits en 2016 afin de procéder à une opération de désenvasement de l'anse de Pouldavid.
Crédit photo : Serge BIANVET / https://escapadesphoto.fr
La fin des cimetières de bateaux ?
Ces cimetières de bateaux offrent des paysages certes surprenants, mais posent des problèmes en matière de sécurité . En effet, on y trouve souvent des épaves qui ne sont plus que des squelettes fragiles menaçant de s’effondrer, qui laissent dépasser des clous ou objets tranchants, ou qui peuvent gêner la navigation pour les plus éloignées. Parfois source de pollution liée aux matériaux qui les composent, les bateaux qu’on trouve dans ces cimetières posent également des problèmes environnementaux.
C'est pour ces raisons que les autorités veulent débarrasser certains cimetières, tels que ceux de Quelmer ou du Magouër, alors que d’autres ont déjà totalement disparu, comme ceux de l’anse de Pouldavid, en 2016, et de La Landriais, en 2020.
Quel est le régime juridique applicable aux bateaux se trouvant dans ces cimetières ?
Le statut d’épave
L’épave de navire se caractérise d’après l’article L5142-1 du code de transports par sa non-flottabilité, donc son inaptitude à affronter les risques de mer, ainsi que son état d’abandon en raison de l’absence d’équipage à bord, et enfin par l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre.
Selon l’article R5142-5 du code des transports, le propriétaire d’une épave a l’obligation de procéder à sa récupération, son enlèvement ou sa destruction lorsqu’elle présente un danger pour la navigation, la pêche ou l’environnement, notamment en termes de pollution.
Il faut donc retrouver le propriétaire de l’épave ou ses ayants droit, ce qui peut poser problème dans le cas présent concernant les épaves abandonnées depuis de très nombreuses années. Dès lors, si celui-ci est inconnu, l’article L5242-18 du code des transports dispose que l’autorité administrative compétente peut intervenir d’office afin de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin au danger que présente l’épave. Si toutefois le propriétaire est connu, elle doit le mettre en demeure afin de faire cesser le danger, et pourra intervenir si elle ne produit pas d’effets, en vertu de l’article R5142-9 du code des transports.
De plus, si le propriétaire est inconnu ou si l’existence de l’épave remonte à plus de cinq ans, l’article L5142-2 du code des transports dispose que l’autorité administrative compétente peut prononcer la déchéance de ses droits. L’épave appartient alors à l’Etat, qui pourra procéder à sa vente, et ce également dans le cas où elle n’a pas été revendiquée dans un certain délai par son propriétaire, d’après l’article R5142-11 du code des transports. On peut cependant écarter cette hypothèse dans le cas présent puisque la plupart des épaves de ces cimetières de bateaux ne sont plus que des carcasses sans réelle valeur. L’épave sera alors enlevée voire détruite par les autorités.
Le statut de navire abandonné
Le statut d’épave se distingue du statut de navire abandonné, qui concerne les bâtiments demeurant en état de flottabilité et de navigabilité, souvent abandonnés pour des raisons économiques. Une loi du 28 mai 2013 a permis de rapprocher son régime juridique de celui des épaves afin que les autorités puissent prendre des mesures plus effectives pour y faire face. Ainsi, l’autorité administrative compétente peut mettre en demeure le propriétaire d’un navire abandonné pour qu’il intervienne afin de faire cesser le danger qu’il présente, et/ou prendre des mesures d’urgence, voire prononcer la déchéance des droits de son propriétaire, puis procéder à la vente ou destruction du navire abandonné.
Le statut de bien culturel maritime
Ces épaves et navires abandonnés peuvent cependant présenter un intérêt archéologique ou culturel, raison pour laquelle certains se battent pour que leur soit reconnu le statut de bien culturel maritime, permettant leur protection par l’Etat.
L’article L532-1 du code du patrimoine définit les biens culturels maritimes comme les gisements, épaves, vestiges ou tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique situés dans le domaine public maritime ou au fond de la mer dans la zone contiguë. Ainsi, ceux dont le propriétaire n’a pas été retrouvé appartiennent à l’Etat. Ils relèvent du domaine public de l’Etat, et toute atteinte qui leur est portée est sanctionnée.
Bibliographie
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