La Convention sur le Travail Maritime de l’Organisation internationale du Travail, adoptée le 23 février 2006 et entrée en vigueur le 23 août 2013 réglemente le travail des gens de mer et énonce leurs droits, notamment en termes de conditions d’emplois (Titre 2) comprenant le rapatriement des marins lors des relèves d’équipages :
Alinéas 1 et 2 de la règle 2.5 :
1. Les gens de mer ont le droit d’être rapatriés sans frais pour eux-mêmes dans les cas et dans les conditions spécifiés dans le code.
2. Tout Membre exige des navires battant son pavillon qu’ils fournissent une garantie financière en vue d’assurer que les gens de mer sont dûment rapatriés, conformément au code.
Un navire est soumis à la loi de l’Etat dont le pavillon appartient, il s’agit même la plupart du temps de sa nationalité ; par exemple, un navire battant pavillon français est considéré comme français et sera ainsi soumis à la loi française. La France étant partie à la Convention sur le Travail Maritime, le navire devra alors en respecter les obligations.
Ratifiée et en vigueur dans 98 Etats, cette Convention est actuellement la seule législation internationale imposant cette obligation de rapatriement ; cependant, il existe encore de nos jours de nombreux cas où les marins restent bloqués à bord des navires, parfois durant plusieurs années.
Le cas du MV Aman : un navire non conforme à la réglementation, un Etat du pavillon non partie à la Convention
Le 5 mai 2017, Mohammed Aisha embarquait comme second à bord du cargo MV Aman battant pavillon du Bahreïn ; deux mois plus tard, le navire jetait l’ancre au large de l’Egypte sur décision des autorités égyptiennes, à la suite de défauts de sécurité et de la péremption de certificats. Le capitaine égyptien revenu à terre, Mohammed Aisha est désigné tuteur légal par un tribunal local : alors que les marins sont progressivement rapatriés, le nouveau responsable légal doit rester à bord du navire, les seules solutions envisageables par la suite étant son remplacement ou le rachat du navire. Il est alors obligé de faire régulièrement des allers-retours à la nage jusqu’à la côte pour se réapprovisionner et recharger son téléphone. Quatre ans plus tard, après la mise aux enchères du cargo, Mohammed Aisha peut enfin regagner la terre ferme.
Le Bahreïn n’ayant pas ratifié la Convention et celle-ci n’étant applicable qu’à ses Etats Membres, il n’existe aucune obligation légale de rapatriement opposable à cet Etat. Dans cette situation, seule une action de l’ITF (Fédération Internationale des Ouvriers du Transports) ou une prise de responsabilité de la part de l’Etat côtier, ici l’Egypte, est envisageable.
Le cas de l’IBA : une impasse financière du propriétaire, un Etat du pavillon partie à la Convention.
Les cinq marins arrivés à bord de l’IBA, pétrolier battant pavillon panaméen appartenant à une entreprise de transport maritime émiratie ont connu un sort quasiment similaire, à la différence qu’ils n’ont pas encore pu regagner leurs pays respectifs : la compagnie ayant arrêté de leur verser leurs salaires à la suite de difficultés financières, les marins arrivés entre 2017 et 2019 se sont vus contraints de subsister grâce à des organismes de bienveillance assurant leur ravitaillement. L'équipage ne peut mettre pied à terre sous peine d’emprisonnement en raison de la péremption de leurs passeports, d’autant plus que les navires sans équipages sont interdits par le droit international pour des raisons de sécurité ; la Convention de Montego Bay de 1982 précise notamment que les Etats doivent prendre les mesures nécessaires pour assurer les conditions de travail et la formation de l’équipage. Bien que le Panama soit partie à la Convention sur le Travail Maritime, il n’existe aucun moyen coercitif de le contraindre à remplir ses obligations en tant qu’Etat du pavillon.
La première vague de Covid 19 : le blocage des ports
Une estimation de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) relève environ 200 000 marins bloqués à bord de navires seulement en mars 2021, qui ne peuvent être rapatriés malgré l’expiration de leurs contrats. Outre le niveau de fatigue engendré par des journées de travail considérables, l’OMI relate les problèmes d’accès aux soins médicaux de certains marins, comme ce Russe victime d’un accident vasculaire cérébral dont l’accès au port le plus proche, à 220km du navire, avait été refusé en raison des restrictions sanitaires dues à l’épidémie ; il aura fallu des négociations soutenues de la part de l’OMI, de l’OIT et de l’ITF pour que l’évacuation du patient puisse être effectuée.
L’OMI a par la suite agi auprès des gouvernements pour que les gens de mer bénéficient du statut de “travailleurs clés”, les exemptant des restrictions de circulation et permettant leur rapatriement.
Ce que prévoit la règlementation internationale :
Ces trois cas de figure illustrent trois enjeux majeurs : les marins à bord de navires dont l’Etat du pavillon n’a pas ratifié la Convention, ceux dont l’Etat se trouve en violation du principe de rapatriement car partie à la Convention, et ceux, nombreux, ayant subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaires, trop lourdes et longues pour être considérées comme un passage anecdotique obligé du confinement mondial et donc exemptées du droit international.
Selon la règle 2.5 de la CTM, les Etats Membres doivent veiller à ce que les marins embarqués à bord de navires battant leur pavillon puissent être rapatriés à l’expiration de leur contrat, ou lorsque ce contrat est dénoncé par l’armateur ou le marin lui-même, ou enfin dans le cas où le marin n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions.
De fait, ces failles juridiques mériteraient d’être comblées, par exemple par une prise de responsabilité de l’Etat côtier, ou encore en menant des négociations avec l’Etat du pavillon ou l’Etat de la nationalité des marins. De même, ces abus soulignent la vulnérabilité des gens de mer, particulièrement ceux en précarité financière, qui souvent signent un contrat dont ils ne connaissent ni la teneur ni les conséquences.
Bibliographie :
- “Relèves d’équipage et rapatriement des gens de mer : un enjeu prioritaire”, Organisation Maritime Internationale, Relèves d'équipage et rapatriement des gens de mer : un enjeu prioritaire (imo.org) .
- Sarah Caillaud, “Abandonné depuis quatre ans à bord d’un cargo, un marin retrouve enfin sa liberté”, Ouest France 26/04/2021, Abandonné depuis quatre ans à bord d’un cargo, un marin retrouve enfin sa liberté - Edition du soir Ouest-France - 26/04/2021
- Claire Domenech, “Depuis quatre ans, ces marins sont coincés à bord d’un pétrolier”, Capital, 21/02/2021, Depuis quatre ans, ces marins sont coincés à bord d’un pétrolier - Capital.fr
- “Ratifications de MLC, 2006 – Convention du travail maritime, 2006”, Organisation Internationale du Travail Ratifications des conventions de l'OIT: ratifications par convention (ilo.org)
- “Convention du Travail Maritime, 2006”, Conférence Internationale du Travail, signée le 23 février 2006 à Genève, entrée en vigueur le 30 août 2013 MLC_2006_cle85e2b4.pdf (ecologie.gouv.fr)
- Paul Adams, “Stranded sailor allowed to leave abandoned ship after four years”, BBC News Stranded sailor allowed to leave abandoned ship after four years - BBC News
- Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée le 10 décembre 1982 à New-York, entrée en vigueur le 16 novembre 1994, RS 0.747.305.15 (admin.ch)
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