Il y a de cela pratiquement un an, alors étudiant en M1 de droit européen et international, j’assistais à l’un de mes premiers cours de droit maritime. Celui-ci portait entre autre sur la qualification du navire, c’est-à-dire les éléments qu’un engin doit regrouper pour être défini juridiquement comme un navire. A cette époque, la saga Pirates des Caraïbes était diffusée à la télévision : un épisode chaque lundi soir, juste après ledit cours de droit maritime. En rentrant chez moi, je m’offrais donc ce petit moment de détente pour suivre les aventures de Jack Sparrow, avec un œil nouveau : je ne voyais non plus des « bateaux », mais des « navires » partout. De nombreux petits cas pratiques s’offraient à moi, idéals pour les révisions, et que je souhaitais vous présenter ici. A l’heure où les ouvrages comme Le droit dans Harry Potter ou Le droit dans Game of Thrones séduisent les bancs universitaires, il convenait donc pour tous les maritimistes de traiter, modestement et avec une simplicité accessible à tous, du droit maritime dans Pirates des Caraïbes. Avant toute chose, il est important de préciser ici que ces analyses seront, pour la plupart, faites à l’aune du droit maritime français, en vigueur aujourd’hui.
Le Black Pearl serait-il caractérisé de navire malgré toutes ses particularités ?
Le Black Pearl, bateau emblématique de la saga, brulé puis coulé avant d’être remonté à la surface par le célèbre Davy Johns, maître des profondeurs et passeur du royaume des défunts; sa couleur noire, héritage de ce funeste passé, et sa vitesse inégalable, fruit d’un pacte conclu entre Jack Sparrow et Davy Johns, font de lui un engin flottant à part. De même, son équipage maudit a largement participé à sa renommée et aux craintes que ses voiles sombres suscitaient. Ainsi, en considération de tous ces éléments mystiques qui l’entourent, il convient de redoubler de cartésianisme afin de savoir si le Black Pearl est juridiquement un navire.
En droit interne, l’article L.5000-2 du Code des transports dispose en ce sens qu’un navire est « tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci ». Héritée de jurisprudences successives (Civ 20 février 1844 ; Chambre des requêtes, 4 janvier 1898 ; Chambre des requêtes, 13 janvier 1919 ; Cass 6 décembre 1976, Canaux Poupin Sport), cette définition implique donc que le Black Pearl soit affecté à la navigation maritime, apte à affronter les risques de mer, et doté de moyen de propulsion autonome.
En l’espèce, le Black Pearl réunit tous ces critères (il suffit à cet effet de visionner ses aventures !). Certes, ledit navire n’est pas équipé pour le commerce, la pêche ou la plaisance, puisqu’il se livre à une activité bien moins noble : la piraterie. Mais il convient de rappeler que cet article a été rédigé pour les besoins de la réglementation française sur des situations concrètes et légales en mer (transports, assistance, remorquage, droit du travail maritime, etc.) laissant la piraterie au Code pénal qui la traite sous son aspect criminel. Il n’en demeure pas moins que le Black Pearl est un navire, au sens très large d’ailleurs également de la Convention internationale de 1989 sur l’assistance, en son article premier : « navire signifie tout bâtiment de mer, bateau ou engin, ou toute structure capable de naviguer ».
Finalement, même si le Black Pearl a sombré momentanément, cela ne le dépossède pas de son statut de navire, puisque l’absence de flottaison n’a duré qu’un temps. Le Black Pearl n’a donc pas eu le temps d’être considéré comme une épave, et ne présente par la suite aucune particularité par rapport à un autre navire (outre sa rapidité). Il est donc juridiquement un navire.
Le Hollandais Volant serait-il caractérisé de navire ou d’engin submersible ?
En droit international public, la réponse peut être vite apportée par la Convention de Hong-Kong de 2009 pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires. Son article deux dispose en ce sens que : « navire » désigne un bâtiment, de quelque type que ce soit, exploité ou ayant été exploité en milieu marin, et englobe les engins submersibles ». Un engin submersible est donc avant tout un navire, donc le Hollandais Volant serait un navire avec la particularité d’être submersible.
En droit interne, la solution est sensiblement la même avec la seule différence qu’il n’y a pas d’articles caractérisant les engins submersibles ou sous-marins. Ceux-ci sont considérés comme des navires à part entière dans la mesure où ils sont bien des engins destinés à la navigation maritime, aptes à affronter les périls de la mer, dotés de moyen de propulsion autonome et en capacité de flotter (lorsqu’ils naviguent en surface). Ils ont cependant la particularité de naviguer normalement immergés. Le Hollandais Volant en ce sens, lorsqu’il est immergé, devient un engin submersible, pour redevenir un simple navire lorsqu’il navigue en surface. Il est donc l’un ou l’autre selon son exploitation et ne pourrait être caractérisé uniquement d’engin submersible ou uniquement de navire. La caractérisation d’engin submersible est importante pour leur appliquer les réglementations internationales et nationales qui leur imposent de naviguer en surface dans les eaux intérieures (article 20 de la Convention de Montego Bay et article L.5211-2 du Code des transports). Il n’est pas certain cependant que le Hollandais Volant respecterait ces règles.
Le Silent Mary serait-il caractérisé d’épave en raison de sa malédiction fantôme ?
La question qui découle de cette problématique est de savoir si un navire fantôme demeure avant tout un navire, ou une épave hantée.
En droit français, l’article L.5142-1 du Code des transports pose trois critères pour qu’un navire prenne le statut d’épave : la non flottabilité ; l’absence d’équipage à bord ; l’inexistence de mesure de garde ou de manœuvre. Il convient donc de préciser avant toute analyse que pour devenir épave, il faut avoir été navire. En ce sens, il sera ici largement considéré, sans rappel de ce qui a été évoqué tantôt, que le Silent Mary était bien un navire puisqu’il s’agissait d’un bâtiment de guerre espagnol, de même que le postulat sera ici posé que la réglementation sur les épaves est la même pour les navires privés et militaires. L’important étant ici de savoir si le Silent Mary regroupe les critères de l’épave.
Les trois critères de l’épave sont cumulatifs et non alternatifs. Certes, la flottabilité peut être remise en question en considérant que le navire « plane » et tient en surface du fait de sa capacité surnaturelle à voler. De même, le fait que l’équipage soit composé de fantômes peut conduire à affirmer qu’il n’y a pas d’équipage à bord, dans la mesure où l’équipage doit être composé de personnes physiques et, cela va de soi, vivantes. Reste cependant que les manœuvres sont quant à elles présentes puisque le Silent Mary se livre à une course poursuite en pleine mer contre le Black Pearl, et le film montre plus d’une fois le capitaine Salazar à la barre.
En résumé, il y a un critère qui peut faire débat (celui de la flottabilité), un critère qui converge vers la caractérisation de l’épave (l’absence de personnes vivantes à bord), mais un critère qui converge vers la non caractérisation de l’épave (celui de la veille et des manœuvres). Dès lors que toutes les conditions ne sont pas intégralement réunies, le Silent Mary ne saurait être caractérisé d’épave, et demeure donc, bien que fantôme, un navire.
Le droit de pourparlers aurait-il pu vraiment être invoqué par Elisabeth Swann ?
Le droit de pourparlers est garanti, dans la fiction, par le Code de la piraterie. Ce droit octroie à la personne capturée par des pirates de négocier avec leur capitaine afin de conduire à un accord. Elisabeth Swann connait bien cette possibilité et s’en sert dans le premier volet pour être conduite devant Hector Barbossa et ainsi échapper à une mort certaine.
Si dans les films ce droit est bien inscrit dans un Code, il n’en est toutefois rien en réalité. N’en déplaise à Jack Sparrow, les Français ne l’ont donc pas inventé, contrairement à ce qu’il affirme sur l’île de la Muerta. Des codes de pirates ont toutefois existé, comme cela a été vu dans l’article « La corsairerie, encadrement juridique d’une piraterie assermentée », disponible sur ce blog. Aucun de ces codes ne s’est cependant imposé puisqu’ils étaient principalement des guides de conduite destinés aux équipages de ceux qui les rédigeaient, mais surtout aucun d’eux ne prévoyait ce droit de pourparlers. Mademoiselle Swann se serait donc sans doute faite égorger dans son armoire, puis dépossédée de sa pièce Maya, rendant l’intrigue moins riche.
Bonus : Les bandits de la Casa de Papel seraient-ils vraiment intouchables en haute mer après avoir braqué la maison nationale du timbre et de la monnaie en Espagne ?
« La haute mer, zone de non droit ». Voilà bien un stéréotype poussiéreux qui sait pourtant irriter les publiscistes, internationalistes et maritimistes.
La fin du plan du Professeur, dans la deuxième saison de la Casa de Papel, consiste à fuir en haute mer, où les braqueurs deviendraient intouchables dans la mesure où plus personne ne pourrait les arrêter légalement. Cette affirmation est non seulement fausse, mais plus encore les braqueurs risquent autant voire bien plus en mer que sur terre !
Dans les eaux internationales, l’Espagne peut d’abord arraisonner l’embarcation des bandits sur le fondement de sa compétence personnelle. Cela implique donc que tous les ressortissants espagnols peuvent être arrêtés et conduits en Espagne, ce qui concerne la majeure partie de l’équipe. Bien plus, dans la mesure où tous les bandits ont commis un crime majeur sur le territoire espagnol, ils pourront tous être arrêtés par le gouvernement espagnol, dépassant la stricte compétence personnelle, dans le cadre de leur arrestation. Le fait de se réfugier en haute mer ne fait pas tomber la compétence personnelle ni même la capacité à agir d’un Etat lorsqu’un crime a été commis sur son territoire.
Plus encore, le droit de visite met largement en danger les plans du Professeur. Ce droit est celui qu’a tout navire militaire à l’encontre d’un navire privé suspecté de commettre une infraction réprimée par le droit international (article 100 de la Convention de Montego Bay). Ainsi, sur une embarcation à bord de laquelle se trouve des fugitifs mondialement recherchés, les navires de guerre de n’importe quel État pourront exercer leur droit de visite et les dérouter.
In fine, l’embarcation des braqueurs battait pavillon portugais. Le Portugal pourra donc exercer son pouvoir sur le fondement de sa compétence d’Etat du pavillon et rappeler gentiment les braqueurs sur ses côtes.
En somme, les adeptes de Dali et Bella Ciao ont beau avoir un plan quasi-parfait, le Professeur aurait dû se faire élève, pour une fois, et être plus assidus aux cours de Droit international public de L3, ou de Droit la mer de M2, pour ne pas tomber dans ce cliché juridiquement infondé.
Bibliographie :
- BERBOUCHE, Alain. Pirates, flibustiers & corsaires, de René Duguay-Troüin à Robert Surcouf : Le droit et les réalités de la guerre de Course, Saint-Malo : Pascal Galodé, 17 juin 2010, 318 p
- CHAUMETTE, Patrick. Droits maritimes. 4ème édition. Paris : Dalloz, 2021, 1910p.
Crédits photos :
- Pirate des Caraïbes, Studios Walt Disney
- La Casa de Papel, Netflix
- Reddit.com
Comments