« Chacun se bat pour ce qui lui manque ». Tous les marins ont en tête cette harangue restée célèbre dans l’histoire populaire du roman français. Surcouf, de son prénom Robert, le Roi des corsaires, l’aurait éjectée au tricorne d’un officier britannique bientôt dépouillé, lequel lui reprochait de se battre pour l’argent, là où ceux d’Outre-Manche croiseraient le fer, eux, pour l’honneur. Cette anecdote que les Malouins aiment à se raconter sous les enseignes de la « cité corsaire » soulève un stéréotype sortant de son vieux temps : celui où des hommes, avides d’aventures et richesses, prendraient la mer, Jolly Roger au vent, jambes de bois et cargos de rhum à bord, pour dépouiller impunément les ennemis du Roi de France. Mais finalement, d’où vient le corsaire, soit celui qui a en sa possession une lettre de course ? et qu’implique cette dernière ? Au-delà des histoires populaires nées dans le duché du Gwenn ha Du pour y être contées jusqu’en Provence, la corsairerie est avant tout une notion juridique, ayant traversé les âges, et qui mérite d’être « abordée » sous cette acception.
La corsairerie ou l’autorisation de piller
« Pirate ? non… mais corsaire. Exécutant une mission sous l’autorité, et la protection, de la couronne ». Hector Barbossa, sans doute l’un des pirates fictifs les plus célèbres, a su résumer sa fonction dans le quatrième film des aventures de Jack Sparrow, à l’occasion duquel il se fait corsaire. Ainsi, un corsaire est vulgairement celui qui s’est vu investir d’une mission d’intérêt national, pour laquelle il bénéficie d’une protection royale. Si cette pratique apparait dès la fin du Moyen-âge avec le développement des activités humaines en mer, la terminologie corsaire ne fait son apparition qu’assez tardivement, vers le XVIème siècle.
Héritière du droit de représailles, la lettre de course octroie à son détenteur le droit de piller un navire ennemi pour ses richesses. Mais, contrairement à son prédécesseur, ladite lettre n’implique nullement le fait qu’il soit nécessaire que l’armateur se soit vu piller son navire pour pouvoir à son tour aborder un navire ennemi plus tard. Le corsaire n’a donc pas vocation à se venger, il est proactif et non réactif, il a l’intention première de porter atteinte à autrui, et le fait légalement car protégé par son Etat. En ce sens, qu’est-ce qui le différencie du pirate, et pourquoi l’Etat autorise une telle pratique ? pour reprendre Saint Augustin, « l’Etat est-il autre chose qu’une bande de brigands assurée de son impunité » ? L’Histoire et le droit nous permettent de répondre à cette interrogation par la positive.
L’encadrement législatif des activités du corsaire
Pour que l’exercice d’une activité, quelle qu’elle soit, s’inscrive dans la légalité, le respect de certaines conditions est toujours exigé, et les corsaires n’y échappaient guère. De prime abord, l’activité du corsaire était fondamentalement commerciale et non militaire. En ce sens, la conclusion de la « chasse-partie » était nécessaire avant de pouvoir embarquer. Ce document était en somme un contrat stipulant la destination, l’objet du voyage mais plus encore les règles à bord. Ces chasses-parties seront reprises par les pirates, notamment Bartholomew Roberts qui, en 1720, tente d’instaurer un Code des pirates imposant par exemple, en son article IV, que les lumières et les chandelles soient éteintes à huit heures du soir, obligeant ceux qui veulent boire, passé cette heure, à rester sur le pont sans lumière.
Une fois la chasse-partie convenue, le corsaire (terme qui désignait aussi bien l’homme que le navire) devait se munir d’une lettre de marque, aussi appelée lettre de commission. Ce document autorisait l’équipage à prendre la mer pour « courir sus aux navires ennemis », d’où son sobriquet donné par la suite « lettre de course ».
L’honneur, contrairement à ce qu’affirmait l’anglais cité en propos préliminaires, était de mise dans les activités corsaires. Ainsi, le droit exigeait que si un pavillon neutre ou allié du navire attaqué pouvait être hissé pour s’approcher dudit navire par fourberie, le véritable pavillon devait être en revanche hissé passé une certaine distance. La traitrise était retenue si cette règle avait été violée pour aborder le navire marchand.
Finalement, l’élément le plus important annihilant tout amalgame possible entre corsaire et pirate reste le respect de la vie humaine. Les prisonniers devaient en effet avoir la vie sauve et leurs biens étaient insusceptible d’appropriation, ceux-ci étant alors scellés par les corsaires eux-mêmes. De nombreux témoignages historiques attestent que cette pratique était respectée puisque des prisonniers ont pu utiliser leurs biens, pourtant restés à bord du navire pris le temps des inventaires, pour soudoyer leurs geôliers.
Un contrôle rigide de l’Etat du port
Une fois rentré à bon port, le corsaire faisait l’objet d’un contrôle par l'Etat du port (et non forcément du pavillon, car les corsaires américains pouvaient vendre leurs prises dans le Royaume de France durant la guerre franco-anglaise dès 1778, et vice-versa). Après avoir déposé son rapport des mers à l’Amirauté, le Capitaine devait retourner et rester à bord du navire avec son équipage tant que les officiers d’administration n’avaient pas dressé leur procès-verbal. Les écoutilles scellées (ouverture rectangulaire pratiquée dans le pont d'un navire et qui permet l'accès aux étages inférieurs), afin d’être sûr qu'aucune prise n’en sorte, les prisonniers étaient alors conduits à la prison pour y être interrogés. C’est seulement à ce moment que les corsaires mais surtout les marchandises pouvaient débarquer pour être inventoriées puis scellées par trois clés : une détenue par le greffier de l’Amirauté, une seconde par le receveur des fermes du Roi (qui s'occupait des finances d'une province), et la troisième par l’armateur (si celui-ci pouvait être sur place).
L'Amirauté locale envoyait ensuite son rapport sous huitaine au secrétaire général de la Marine, qui le transmettait au Conseil des prises. Ce dernier, après verdict sur le respect des obligations du corsaire, décidait de la mise aux enchères du butin de prise et faisait parvenir son jugement, sous huitaine également, à l'amirauté dont il était question. Les recettes engendrées par la vente étaient finalement réparties entre le Roi, le remboursement des frais au cours du voyage, les veuves des marins, les blessés, l'armateur ou le groupement d’armateur et enfin les corsaires selon leur place dans l’équipage. Une activité somme toute peu rentable en ce qu’elle a de contraignante. A la fin du XVIIème siècle, afin d’encourager la corsairerie, l’Etat se contente de simple « droits d’enregistrements », portant le partage des prises à 2/3 pour l’armateur et 1/3 pour l’équipage. Pour les corsaires américains accostés en France, la réglementation était sensiblement différente puisque les députés des Etats-Unis à Paris contrôlaient conjointement avec le Tribunal des prises le respect des règles de la corsairerie, et les prises susceptibles de vente étaient réduites tant dans leur quantité que dans leur prix. Toutefois, outre cette particularité, les règles de contrôle demeuraient les mêmes que pour les corsaires français.
Pour appréhender la durée de la procédure, il est possible de s'appuyer sur les archives de l'Amirauté de Lorient (1782-1792) avec l'exemple du corsaire Madame de Grainville, accosté dans la ville aux cinq ports le 3 mars 1782. Le procès verbal d'apposition de scellé a eu lieu le 3 mars, l'interrogatoire des prisonniers le 4 mars, le débarquement des marchandises du 8 au 17 mars, les inventaires du 18 au 20 mars, et la vente aux enchères n'a eu lieu seulement que le 9 avril. Bien qu'une vente provisoire des objets sujets à dépérissement était possible avant le retour du Conseil des prises, toute la longueur voire lourdeur administrative de la procédure y est ici démontrée : plus d'un mois s'est écoulé entre l'arrivée et la vente des prises.
La fin de la guerre de course et du statut de corsaire
Si les corsaires ont été un soutien essentiel à la couronne au gré des Rois qui l’ont portée, il convient de redoubler de cartésianisme lorsqu’on l’évoque. Les guerres, notamment celle de succession d’Espagne de 1701 à 1714, ont été les principales raisons de la généralisation de la corsairerie, pour affaiblir les ennemis. Le corsaire s’attaquait en effet exclusivement aux navires marchands, souvent bien plus gros que lui, et les conflits armés lors d’abordages étaient très marginaux. A preuve, de 1692 à 1763, sur un total de 23 201 corsaires embarqués seuls 133 perdent la vie au cours d’un combat ! Mais une fois terminées, les guerres ont entrainé de grandes vagues de piraterie puisque d’anciens corsaires désœuvrés ont ainsi basculé dans la criminalité, comme le capitaine Kidd pour ne citer que le plus célèbre. Au fil du temps, l’appel aux corsaires est devenu désuet, notamment grâce au développement de la Marine de guerre et à une volonté internationale de voir cette pratique s’éteindre.
Alors qu’en France le dernier corsaire rendit l’âme en 1856, date du Traité de Paris mettant un terme à la « guerre de course », cette pratique est toujours en théorie légale dans certains Etats comme le rappelle l’article premier de la Constitution Etats-unienne disposant que « le Congrès peut déclarer la guerre, accorder des lettres de marque et de représailles et établir des règlements concernant les prises sur terre et sur mer ». Il se pourrait donc qu’un jour, cette pratique revoit le jour sur nos mers car, rappelons-le, « l’âme des (corsaires), jamais ne mourra ».
Bibliographie :
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- NATIONAL GEOGRAPHIC. Comment la suppression du statut de corsaire a mis le feu aux poudres ? [en ligne]. Nationalgeographic.fr, 2020. Disponible sur : https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/02/pirates-comment-la-suppression-du-statut-de-corsaire-mis-le-feu-aux-poudres (consulté le 15 octobre)
- FUTURA SCIENCE. Qui sont les corsaires du Roi ? [en ligne]. Futura-sciences.com, 2019. Disponible sur : https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-sont-corsaires-roi-12607/ (consulté le 15 octobre)
- Alain Berbouche, Pirates, flibustiers & corsaires, de René Duguay-Troüin à Robert Surcouf : Le droit et les réalités de la guerre de Course, Saint-Malo, Pascal Galodé, 17 juin 2010, 318 p
- Louis XVI, Déclaration du Roi concernant la course sur les ennemis de l’Etat. Donnée à Versailles le 24 juin 1778. 1778. Archives départementales de Seine et Marne, Dammarie-les-Lys, FR, 35 C 85
- Louis XVI, Règlement concernant les prises que des corsaires français conduiront dans les ports des Etats-Unis de l’Amérique et celles que les corsaires américains amèneront dans les ports de France, du 27 septembre 1778. 1778. Archives départementales de la Gironde, Bordeaux, FR, 61 J 10/13
- Amirauté de Lorient, Dossiers de prises. 1782-1786. Archives départementales du Morbihan, Vannes, FR, 10 B-61
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