La France mise en demeure par la Commission européenne
Le 2 juillet 2020, la France a été mise en demeure par la Commission européenne qui lui demande de prendre des mesures pour réduire les prises accessoires de dauphins et marsouins par les navires de pêche.
La Commission exige que la France se conforme à la réglementation européenne relative à la politique commune de la pêche, qui prévoit des mesures de prévention de ces prises accessoires, et relative à la directive Habitats qui inscrit les dauphins et marsouins au nombre des espèces devant faire l’objet d’une stricte protection en raison de leur vulnérabilité ou rareté.
Elle exige notamment que la France mette en place un contrôle effectif des prises accessoires et généralise l’utilisation des pingers, boîtiers acoustiques permettant d’éloigner les cétacés des filets de pêche [1].
Le même jour, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État français à payer une indemnité à l’association Sea Shepherd France après avoir constaté une carence fautive de l’État dans la mise en œuvre du droit de l’Union européenne, du fait de son manque d’actions concrètes pour protéger les cétacés et assurer un contrôle efficace des activités de pêche. Il a en revanche refusé d’enjoindre à l’État de « limiter les activités de pêche durant les périodes de reproduction du bar, et d’interdire la pêche sur la zone Natura 2000 située dans le Golfe de Gascogne » [2].
La surmortalité des dauphins et marsouins
Et pour cause, une surmortalité des cétacés est constatée dans le Golfe de Gascogne depuis les années 1990, en nette augmentation depuis 2016 comme l’attestent les données de l’observatoire PELAGIS. Elles montrent aussi que les échouages sont en grande partie dus aux captures accidentelles de ces espèces dans les filets de pêche puis rejets en mer de celles-ci, sachant que les spécimens échoués ne représenteraient qu’une minorité des spécimens morts puisque la majorité coule ou se décompose en mer [3].
La réaction limitée de l’État français
La Commission européenne a laissé 3 mois à la France pour se conformer à la réglementation européenne. Mais la France n’a à ce jour toujours pas prononcé la fermeture des pêches concernées par les captures en cause, alors que le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) l’a préconisé dans un avis de mai 2020 sur demande spéciale de l’Union européenne [4].
Un plan d’action a tout de même été présenté par la ministre de la mer Annick Girardin en février dernier [5], présentant 7 engagements de l’État. Il fait cependant l'objet de critiques relatives à son manque de réelles mesures contraignantes, si ce n’est d’équiper les chalutiers de pingers (dont l’efficacité est contestée) ainsi que d’obliger les pêcheurs à déclarer les captures accidentelles, qui n’a rien de nouveau puisqu’en vigueur depuis 2019, et dont l’efficacité est également relative car une fraction seulement des captures sont déclarées. Concernant les autres mesures, il s’agit notamment de tester l’embarquement de caméras dans des navires sur la base du volontariat, et de mettre en place une coopération avec l’Espagne et le Portugal, qui a été lancée en mars dernier dans la cadre du projet Cetambition et se limite au partage de données scientifiques.
Quoi qu’il en soit, rien n’a changé dans les faits puisque les données de l’observatoire PELAGIS concernant 2021 montrent que les mortalités de dauphins sont « toujours aussi intenses » [6].
Cette absence de changement est contestée par des associations, comme France nature environnement ou Sea Shepherd France, qui a formé un recours en référé auprès de Conseil d’État en mars dernier pour lui demander d’enjoindre à l’État de fermer les pêches plusieurs mois par an. Celui-ci l’a rejeté au motif que l ‘association ne demandait pas une mesure à caractère provisoire, ce qui n’entre pas dans l’office du juge des référés [7].
Une question difficile et sensible
L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre la protection des ressources halieutiques pour assurer leur durabilité, et leur exploitation, au regard des revendications du secteur de la pêche professionnelle majoritairement opposé à une fermeture de la pêche qui aurait des conséquences économiques graves [8].
La France a d’ailleurs de nouveau été mise en demeure cet été par la Commission européenne. Cette fois, elle reproche à la France de ne pas exercer un contrôle adéquat de sa flotte et de mal appliquer les règles de déclaration des captures, et notamment la marge de tolérance de 10 % entre l’estimation de poissons pêchés et la quantité effectivement débarquée. Cela aurait pour conséquence le non-respect des quotas de pêche et donc une surpêche [9].
Elle a également été mise en demeure en septembre dernier du fait de l’absence de contrôle effectif de l’obligation de débarquement de toutes les captures, en les imputant aux quotas à ne pas dépasser afin de limiter les rejets de poissons non désirés [10].
La France peut à terme faire l’objet d’un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne si elle ne se conforme pas à ses obligations. Elle a d’ailleurs déjà été condamnée par le passé pour ne pas avoir respecté son obligation de contrôle des pêches [11].
Gabrielle Casile
Bibliographie :
[2] TA Paris, 2 juill. 2020, n°1901535
[3] Observatoire PELAGIS. (2017). Rapport annuel. Les échouages de mammifères marins sur le littoral français en 2017.
[4] CIEM, Emergency measures to prevent bycatch of dolphins and porpoises, publié le 26 mai 2020.
[5] Ministère de la mer, Les 7 engagements de l’État, des pêcheurs et des scientifiques pour lutter contre les captures accidentelles de petits cétacés en Atlantique, publié le 28 mai 2021.
[6] Observatoire PELAGIS, Les mortalités de dauphins en lien avec la pêche toujours aussi intenses, publié en 2021.
[7] CE, 27 mars 2021, n°450592
[8] Olivier Quentin, « Vendée et Loire-Atlantique : les marins-pêcheurs vent debout contre les nouvelles restrictions », sur France 3 Pays de la Loire, publié le 8 octobre 2020.
[11] CJCE aff. C-304/02, 12 juill. 2005 EUR-Lex - 62002CJ0304 - EN - EUR-Lex (europa.eu)
CJCE aff. C-64/88, 11 juin 1991 EUR-Lex - 61988CJ0064 - EN - EUR-Lex (europa.eu)
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