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Mathilde Charpentier

L’opération Atalante : état des lieux d’un moyen de lutte contre la piraterie maritime

La piraterie maritime en tant que telle existait déjà sous l’Antiquité - tant grecque que romaine. En effet, pour Athènes le pirate est l’ennemi de l’humanité (1). Les Grecs opposent le pirate au héméros - « l’homme doux parce que civilisé » (2). Le pirate était totalement en marge de la société, dénué de tout sens civique et s’opposant aux citoyens. Toutefois, la piraterie a constamment évolué avec la société et les moeurs. Si sa sémantique ne change que peu, les formes qu’elle prend varient et fluctuent. Les définitions légales viennent également parfaire sa compréhension, apportant un regard contextualisé sur ce phénomène.


Désormais, elle est définie par l’article 101 de la Convention de Montego Bay, comme :


« a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé :

i) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer ; ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun État ;

b) tout acte de participation volontaire à l'utilisation d'un navire ou d'un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate ; c) tout acte ayant pour but d'inciter à commettre les actes définis aux lettres a) ou b), ou commis dans l'intention de les faciliter ».


En tout état de cause, il s’agit d’un phénomène global, qui s’implante sur de multiples zones du monde. La carte ci-dessous (3) démontre les hauts lieux de la piraterie maritime, parmi tous les risques maritimes existant sur les mers et océans du monde.




Ce phénomène de piraterie se localise sur l’ensemble des zones maritimes mondiales et notamment dans les zones suivantes :


  • Le Golfe de Guinée : la zone de piraterie s’étend notamment du large du Ghana au Cameroun, avec une recrudescence des actes au large des côtés nigérianes. Des attaques sont également commises jusqu’au large de la Guinée, et des côtés gabonaises (4).

  • Le Golfe d’Aden, et plus largement l’Océan Indien : les actes de piraterie commis sur cette zone sont relativement épars, entourant l’île de Madagascar, et longeant les côtes somaliennes. De même, sont concernées l’embouchure de la mer Rouge, ainsi que dans les eaux bordant la Péninsule arabique, et les côtes indiennes.

  • L’Asie du Sud-Est, notamment le Détroit de Malacca, de Singapour, la mer de Sulu et la mer des Célèbes.

  • L’Amérique latine et centrale, notamment la mer des Caraïbes : cette zone connaît des actes de piraterie sur toute son étendue, du large du Pérou au Nord du Brésil, en passant par le Mexique et les Îles Caraïbes.


Cette piraterie maritime impacte d’une manière significative le commerce maritime mondial. La carte ci-dessous l’explique géographiquement.



Il est apparu primordial de trouver des solutions afin de lutter contre ce phénomène maritime.


Les différentes zones afférentes au risque de piraterie maritime évoluent dans le temps, et se meuvent en fonction des différentes mesures mises en oeuvre pour lutter contre la piraterie. C’est ainsi que depuis l’instauration de l’opération Atalante (5) en 2008, la piraterie au large des côtes somaliennes a significativement diminué.


Une opération ayant fortement enrayé le phénomène de piraterie maritime au large des côtes somaliennes :


La Chambre de Commerce Internationale, en sa division dite Commercial crime services, a specialized division of the International Chamber of Commerce note la baisse des actes de piraterie au large de la Somalie, dans son rapport pour la période du 1er janvier 2022 au 31 mars 2022, en mentionnant qu’aucun acte n’a été commis dans cette zone pour la période citée (6), et ce, notamment grâce à l’opération Atalante.


L’opération Atalante - Atalanta, aussi appelée EU NAVFOR - se définit comme suit : « Le mandat d’EU NAVFOR a été défini par une décision du Conseil en date de 2008 {(7)}. Mettant en œuvre les résolutions des Nations Unies pour la Corne de l’Afrique, ; les forces européennes doivent : Assurer la protection des navires du Programme alimentaire mondial (PAM), des navires de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et d’autres navires vulnérables ; Assurer la dissuasion, la prévention et la répression des actes de piraterie et les vols à main armée au large des côtes de la Somalie; Contribuer à la surveillance des activités de pêche au large des côtes de la Somalie ; Soutenir les autres missions de l’UE et les organisations internationales qui travaillent pour renforcer la sécurité maritime dans cette région » (8).


Cette opération permet, entre autres, de lutter militairement contre la piraterie, en instaurant une coopération matérielle primordiale, et en appui des solutions diverses mises en place pour faire face à la piraterie maritime. C’est ainsi que l’opération Atalante fut lancée le 8 décembre 2008.


Son instauration fait notamment suite à la résolution 1816 du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptée le 2 juin 2008, qui « condamne et déplore tous actes de piraterie et vols à main armée commis contre des navires dans les eaux territoriales de la Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes » et qui appelle à une coopération entre les États concernés, afin de lutter contre ces actes, et les autorise « a) À entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable;

b) À utiliser, dans les eaux territoriales de la Somalie, d’une manière conforme à l’action autorisée en haute mer en cas de piraterie en application du droit international applicable, tous moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée » (9).


L’opération EU NAVFOR Somalia (European Union Naval Force Somalia - Operation Atalanta), consiste plus précisément en une coopération européenne réunissant l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et enfin le Portugal. Il existe toutefois des États non européens intervenant comme États dits tiers, à l’instar du Chili, de la Nouvelle-Zélande ou encore de la Corée du Sud. La zone d’opération couverte se situe entre la mer Rouge, le Golfe d’Aden et une partie de l’océan Indien (10), et comprend les côtes somaliennes.

Elle permet notamment de lutter contre la piraterie maritime, tout en ayant la possibilité de poursuivre les pirates dans les eaux sous souveraineté somalienne. En ce sens, cette mission est essentielle dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.


En effet, il est important de noter que « la résolution 1851 {du Conseil de Sécurité de l’ONU} du 16 décembre 2008 {a élargit} l'espace géographique de la lutte en autorisant les pays participant aux opérations dans le golfe d'Aden et au large des côtes plus australes de la Somalie à exercer, sous réserve d'un accord préalable avec ce pays, un droit de poursuite terrestre et aérien sur son territoire. La résolution n'a pas suivi cependant la demande complémentaire des États-Unis en vue de la constitution d'une force de maintien de la paix de l'ONU qui aurait été déployée sur le territoire somalien pour faciliter parallèlement la reconstruction du pays » (11).


Ainsi, et au regard des résolutions mentionnées, un droit de poursuite inversé a été instauré, au profit de cette opération Atalante, mais surtout au profit de la lutte contre la piraterie maritime. Autrement dit, le droit de poursuite tel que définit à l’article 111 de la Convention de Montego Bay autorise un droit de poursuite d’un navire étranger, par les autorités compétentes de l’État côtier, « au-delà des limites de la mer territoriale ou de la zone contiguë », sous certaines conditions. Dans le cas de l’opération Atalante, il s’agit d’une autorisation, pour les navires opérants dans la lutte contre la piraterie maritime, d’entrer dans les eaux somaliennes, afin de poursuivre les pirates. Cet article a ainsi été appliqué d’une manière inversée, afin que les navires étrangers à l’État somalien, mais « {participants} aux opérations dans le golfe d'Aden et au large des côtes plus australes de la Somalie », puissent exercer un droit de poursuite des pirates, sous réserves citées dans la résolution précitée. Ce droit de poursuite déroge quelque peu au droit existant, en ce qu’il est autorisé, mais avant tout inversé.


L’opération fut reconduite à de nombreuses reprises (12), cinq en tout, la menant jusqu’en 2022. Elle permet d’assurer une veille dans la région, et d’éviter tout d’abord la commission d’acte de piraterie, mais aussi d’intervenir le plus rapidement possible en cas d’attaque pirate.


L’opération Atalante permet ainsi d’apporter un cadre tant juridique que matériel à la lutte contre la piraterie. L’aspect opérationnel viendra prendre tout son sens ici. Au-delà, cette mission rassemble tous les objectifs de coordination, en engageant de multiples pays européens. Elle est donc une solution primordiale dans la lutte contre la piraterie.


En 2011, le nombre d’attaques signalées dans la zone de l’Océan Indien était de 154 et 109 navires piratés (13). En 2012, la réduction du nombre d’attaques observée, en raison notamment de la présence militaire sur la zone, était de 40 pour cent (14). En 2021, deux attaques ont été recensées dans l’Océan Indien, dont une dans les eaux somaliennes (15). En 2022 aucun acte de piraterie n’a été recensé sur cette zone (16).



Le graphique ci-dessus rapporte cette évolution notable (17).


Ainsi, il semble que la présence de l’EU NAVFOR a significativement contribué à la baisse des actes de piraterie dans la région. Pourtant, la fin de l’opération Atalante, ou la non-reconduction du droit de poursuite dans les eaux territoriales somaliennes signifieraient-elles le retour des pirates dans le Golfe d’Aden ?


L’autorisation du droit de poursuite des pirates dans les eaux somaliennes non renouvelée par le Conseil de Sécurité de l’ONU :


L’autorisation du droit de poursuite étendu, accordée aux pays participant à l’opération Atalante, n’a pas été reconduite en mars 2022, en raison de la volonté somalienne de « recouvrer la pleine souveraineté » (18). La question de la baisse des actes de piraterie sur cette zone se pose alors.


En effet, « Le Conseil de sécurité de l'ONU a laissé passer début mars l'échéance de son autorisation de lutter contre la piraterie dans les eaux somaliennes, qui n'a pas été renouvelée et va avoir des répercussions pour l'opération aéro-navale européenne Atalante, selon des diplomates » (19). Cette décision a été entérinée du fait de la volonté somalienne de « recouvrer la pleine souveraineté » (20). En effet, l’opération pourra se poursuivre, mais « sans entrer dans l'espace aérien de la Somalie ou dans ses eaux nationales » (21). Le droit de poursuite ne saurait donc être maintenue pour cette opération.


Rappelons ainsi que : « Après l'abandon de {cette autorisation}, ces navires et avions pourront poursuivre la lutte contre la piraterie dans les eaux internationales mais sans entrer dans l'espace aérien de la Somalie ou dans ses eaux nationales ».

Ainsi, l’opération Atalante se poursuivra sans nul doute, mais ne pourra aucunement entrer dans les eaux somaliennes. La présence militarisée dans la zone, au delà des limites de souveraineté somaliennes, demeure conséquente, ce qui devrait permettre de faire perdurer l’arrêt des actes de piraterie dans la région.


 

Notes de bas de page :


(1) Philippe Chapleau et Jean-Paul Pancracio, La piraterie maritime, Droit, pratiques et enjeux, Paris, Magnard- Vilbert, Janvier 2014.

(2) Philippe Chapleau et Jean-Paul Pancracio, La piraterie maritime, Droit, pratiques et enjeux, Paris, Magnard- Vilbert, Janvier 2014.

(3) Carte émanant du rapport annuel du MICA Center, 2022.

(4) André Louchet, Atlas des mers et océans, Conquêtes, tensions, explorations, autrement, septembre 2015, page 53.

(6) ICC - IMB Piracy and Armed Robbery Against Ships Report, First Quarter 2022, page 17.

(7) Action commune 2008/851/PESC du Conseil, du 10 novembre 2008, concernant l’opération militaire de l’Union européenne en vue d’une contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie et de vols à main armée au large des côtes de la Somalie.

(11) Philippe Chapleau et Jean-Paul Pancracio, La piraterie maritime, Droit, pratiques et enjeux, Paris, Magnard Vuilbert, 2014.

(12) Dont les résolutions 2500 (2019), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 8678e séance, le 4 décembre 2019 et 2554 (2020), adoptée par le Conseil de sécurité le 4 décembre 2020.

(13) Rapport annuel du MICA Center, 2021.

(15) Rapport annuel du MICA Center, 2021.

(16) Rapport annuel du MICA Center, 2022.

(17) Rapport annuel du MICA Center, 2021.


 

Sources :


André Louchet, Atlas des mers et océans, Conquêtes, tensions, explorations, autrement, septembre 2015, page 53.


Philippe Chapleau et Jean-Paul Pancracio, La piraterie maritime, Droit, pratiques et enjeux, Paris, Magnard- Vilbert, Janvier 2014.

Hugues Eudeline, « Contenir la piraterie : des réponses complexes face à une menace persistante », Focus stratégique n°40 : IFRI, Novembre 2012.


Viviane du Castel, « Piraterie maritime : golfe de Guinée et océan Indien », Comité d’études de Défense Nationale, Revue Défense Nationale, 2015/6 N° 781, pages 107 à 112.


ICC - IMB Piracy and Armed Robbery Against Ships Report, First Quarter 2022, page 17.


Rapport annuel du MICA Center, 2021.


Rapport annuel du MICA Center, 2022.




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